5.2 Mouvement «Stop the Violence»
au Danemark
Un exemple d'initiative de jeunesse menée
par des pairs
Le nom du projet est «Stop
Volden» (en français «Stoppez la
violence»). Ce choix a été inspiré
par le mouvement américain «Stop The Violence»
et par notre désir de mettre un terme à la
violence croissante dans notre pays, avec l'aide des jeunes
Danois.
En automne 1993, cinq jeunes de Copenhague
se sont réunis dans un effort commun pour tenter
de lutter contre l'indifférence générale
face à la montée de la violence et de la brutalité,
notamment parmi les jeunes. Nous avions tous constaté
que Copenhague devenait une ville de plus en plus violente.
C'est la raison pour laquelle nous avons décidé
de nous mobiliser pour convaincre les jeunes que la violence
n'est pas la réponse.
Le démarrage
Après qu'un ami commun
eut reçu six coups de poignard et failli perdre la
vie, nous avons décidé de préparer
un concert contre la violence. Puis, il y eut une nouvelle
agression au couteau, encore une fois parmi des très
jeunes, qui entraîna la mort de la victime. Suite
à cela, nous avons fait un communiqué de presse
et le nom de notre groupe de jeunes s'est rapidement fait
connaître dans le pays.
Groupe cible et lieu du projet
Le groupe ciblé par notre projet
était constitué des jeunes Danois entre 12
et 25 ans, notamment ceux vivant dans les grandes villes
et les zones urbaines, où les chances de réussite
sont plus faibles que dans les zones rurales.
Assez rapidement, nous avons compris qu'il
ne suffisait pas de s'adresser aux jeunes, mais que nous
devions aussi travailler avec leur entourage : les parents,
les enseignants, les travailleurs des centres de jeunes,
la police, les amis, etc. Ce n'est qu'en favorisant la prise
de conscience de cet «ensemble» de personnes,
que nous pourrions obtenir des résultats.
Le projet couvrait l'ensemble du pays -
les centres de jeunes, les écoles primaires, les
lycées, les festivals de musique, les concerts, etc.
Nous sommes entrés en contact avec
les jeunes de diverses manières. Suite à notre
premier grand concert, 1 500 personnes ont pu se joindre
à notre mouvement en renvoyant une carte postale
spéciale portant leur nom, adresse, âge, etc.
Nous avons constaté que de tels événements
culturels contribuaient de manière efficace à
l'expression de nos préoccupations et de nos problèmes
communs, en tant que jeunes, que nous soyons pakistanais,
marocains ou danois, et quels que soient nos goûts
musicaux.
Un autre moyen d'entrer en contact avec
les jeunes consistait à passer par le biais des institutions.
Nous avons commencé à recevoir des invitations
d'écoles nous conviant à assister à
des réunions. Nous avons vite compris que nous serions
beaucoup plus efficaces en intervenant directement. Nous
avons alors entamé une série de conférences
dans tout le pays. Après la parution d'informations
sur nos activités dans la presse, la demande de conférences
s'est rapidement accrue.
Principale teneur du projet
Notre projet concernait essentiellement
la lutte contre la violence, afin de comprendre la nature
de ce fléau et les conditions sociales qui l'induisent.
Nous avions compris que la violence, le racisme, l'antisémitisme
et la drogue chez les jeunes étaient souvent une
sorte de cri adressé au monde environnant : un appel
à la reconnaissance, une manière de trouver/d'affirmer
son identité, ou une tentative pour exprimer une
position. Nous ne pensons pas que n'importe qui peut devenir
violent simplement parce qu'il le souhaite. La violence
signifie plus que cela, c'est une logique qui peut certes
échapper à la société, mais
qui revêt une importance capitale pour la jeunesse.
Approche méthodologique et description
d'une session particulière
Nous ne sommes jamais préparés
avant une session ; en fait, nous avons toujours suivi le
cours naturel des débats. Quelquefois, les participants
souhaitaient aborder une question bien précise liée
à leur environnement spécifique. Nous n'avions
pas de réponses à toutes leurs interrogations,
mais nous avions foi dans les jeunes et la volonté
d'aborder tous les sujets qui les préoccupaient.
Nous avons surtout parlé de choses dont nous avions
nous-mêmes fait l'expérience et qui risquaient
fort de les concerner dans le futur.
Nous ne disions pas aux jeunes la façon
dont ils devaient mener leur vie. Nous ne prétendions
pas savoir mieux qu'eux ce qui était bon pour eux.
Cela leur aurait par trop rappelé la façon
de penser de la génération de nos parents,
et nous aurait par là-même relégués
au rang de «l'establishment», risquant ainsi
de nous faire perdre leur confiance.
Par contre, nous leur avons demandé
de tirer les enseignements de nos expériences, pour
éviter d'avoir à les vivre personnellement
ou d'en faire l'apprentissage «à la dure»,
comme nous l'avions fait. Étant donné que
nous avons deux ans de plus et davantage d'expérience
que ces jeunes, nous avons tenté de leur expliquer
qu'ils aboutiraient plus ou moins aux mêmes idées
que nous.
Néanmoins, il y a trois principes
que nous leur demandions de respecter :
• Nous sommes contre
toute forme de violence (physique ou psychologique)
• Nous refusons toute
forme de racisme (chacun de nous doit avoir sa place dans
la société)
• Nous disons non
à la drogue
Voici l'exemple d'une session particulière
qui nécessite environ une demi-heure, quelquefois
davantage.
Nous avions été invités
à nous rendre dans une école dans laquelle
se posait un problème particulier : un groupe de
garçons harcelait les autres élèves.
Dans notre groupe, chacun avait des antécédents
différents. Dany et Ronni sont deux frères,
moitié danois, moitié israéliens. Enfants,
ils vivaient avec leur mère qui travaillait tout
le temps, dans un quartier de Copenhague où sévissaient
le crime, l'alcool, la drogue et le chômage. Dany
et Ronni n'avaient personne pour veiller sur eux, alors
ils ont fini par faire certaines choses qui expliquent ce
qu'ils sont aujourd'hui.
Tous deux ont pourtant réussi à
échapper à ce milieu criminel avant qu'il
ne soit trop tard. Ils avaient appris à la dure qu'ils
étaient sur le mauvais chemin : cette prise de conscience
était essentiellement due au fait qu'ils avaient
été les témoins du triste sort d'amis
très proches.
J'ai 20 ans et mes parents sont marocains.
J'ai cinq soeurs et trois frères. Il était
difficile de vivre tous ensemble et d'affirmer sa propre
identité. Nous vivions au coeur de Copenhague, dans
un quartier appelé Vesterbro. Cela ressemblait beaucoup
au quartier de Dany et Ronni, mais se posaient en plus les
problèmes de prostitution et de drogue. A Vesterbro,
on trouvait tous pour les adultes, mais rien pour les enfants,
à part l'école. Mon frère a eu des
problèmes, comme beaucoup de fils de travailleurs
étrangers, et a commis toutes sortes de délits,
ce qui a causé beaucoup de peine à nos parents.
Les filles se battaient pour obtenir ce qui leur était
interdit, pour des raisons soit de sexe soit de religion
(musulmane).
Toutes mes soeurs se sont d'une façon
ou d'une autre battues pour avoir le droit de choisir leur
vie, ce qui n'est pas chose aisée lorsque vos parents
ont déjà décidé de votre avenir,
tout simplement par ce que vous êtes une fille et
devez par conséquent être davantage protégée.
Mes parents avaient l'habitude de dire
: «Une fille peut apporter sur sa famille dix fois
plus de honte qu'un garçon».
A présent, retournons à notre
session.
Le principal problème trouvait
ses racines dans les agissements de cinq «mauvaises
graines». Ces garçons amenaient des armes à
l'école. Les enseignants avaient tout d'abord tenté
de leur parler, puis s'étaient adressés à
leurs parents (ce qui n'avait fait qu'aggraver la situation).
Nous ne savions pas comment gérer
cette situation, car nous n'avions aucune idée des
raisons de leur comportement. Ce jour-là, nous étions
trois (deux garçons et une fille). Nous sommes entrés
dans la salle dans laquelle devait se dérouler la
session ; tous les élèves des classes de 5ème,
4ème et 3ème y étaient réunis.
Nous avons commencé par examiner les visages en face
de nous, en tentant d'évaluer les jeunes à
partir de leur apparence et de l'expression de leurs yeux.
Nous avons tout d'abord constaté
un grand silence pendant notre discours, non pas parce que
ces jeunes n'avaient rien à dire, mais parce qu'ils
étaient en train «d'absorber» ce que
nous disions avant de commencer leur propre «session».
Chacun a eu la possibilité de s'exprimer. Ensuite,
nous avons commencé à parler du cas de leur
école ; peu d'entre eux ont mentionné les
cinq provocateurs.
Il aurait été facile de désigner,
d'accuser et de punir les coupables. Mais, le problème
n'en serait certainement pas réglé pour autant.
C'est pourquoi nous avons essayé de trouver la meilleure
solution pour tous.
A la fin de la session, une fois seuls,
nous avons demandé aux fauteurs de trouble d'expliquer
les raisons de leurs agissements.
Il s'est avéré qu'ils recherchaient
une activité extrascolaire, parce que l'école
ne suffisait pas à remplir leurs vies. Ils voulaient
faire quelque chose d'excitant, et n'arrêtaient pas
de parler de RESPECT. Ne disposant pas de moyens positifs
pour s'affirmer, ils recouraient par conséquent à
la solution de facilité, «la révolte».
Pour eux, le fait que les gens s'écartent dans la
rue en les voyant arriver était une forme de respect.
Nous avons fait tout notre possible pour les convaincre
que ce qu'ils prenaient pour du respect était en
fait de la peur et qu'il était extrêmement
facile d'effrayer les gens. Enfin, nous les avons invités
à visiter nos bureaux, afin de voir s'ils pouvaient
nous aider dans notre travail.
L'une des raisons qui les a poussés
à nous écouter attentivement fut notre approche
du problème : nous avons tenté de leur parler
de choses sérieuses avec humour. Exagérer
la gravité des choses et faire rire sont des techniques
souvent plus efficaces qu'un discours sombre et ennuyeux,
et le message passe mieux.
Les meilleurs et les pires moments du
projet
Les principaux échecs et réussites
A plusieurs reprises, nous nous
sommes sentis pratiquement incapables de gérer la
situation, parce que nous pénétrions dans
des domaines nouveaux. Autres difficultés : les travaux
de bureau, mais aussi les questions financières et
administratives, les réglementations juridiques concernant
nos initiatives, les mailings à 7000 personnes chaque
mois, l'organisation de concerts, etc.
Tout est complètement nouveau pour
nous ; nous tentons de nous faire aider le plus possible
mais, quelquefois, nous nous sentons au bord de la dépression
nerveuse. Bien que cela ne dure qu'un temps, nous endurons
une tension collective, à cause du manque de soutien
surtout. Alors, nous regardons en arrière et réalisons
que, quels que soient les difficultés rencontrées
et le temps passé, tant que le résultat vaut
les efforts déployés et que les gens concernés
sont satisfaits, nous aussi sommes satisfaits.
Nous nous sentions heureux après
une session, lorsque nous pouvions sentir et voir la différence
que nous avions su apporter en écoutant et en parlant
aux jeunes. Quelquefois, des jeunes filles venaient me voir
à la fin de la session pour me complimenter sur mon
travail. Elles me disaient que ça avait été
vraiment bien, parce qu'il est rare que des jeunes parlent
à des élèves qui ont pratiquement le
même âge qu'eux. En tous cas, une chose est
sûre, c'est que lorsque j'étais au collège,
je n'ai jamais fait l'expérience d'un dialogue de
jeunes à jeunes. Au lieu de cela, nous avions la
police, le dentiste, etc. pour nous dire ce que nous ne
devions pas faire. Une seule fois, un malade du sida est
venu nous raconter ce qu'il avait vécu, nous faisant
partager une véritable histoire personnelle.
Nous nous rappelons aussi avec bonheur
lorsque nous recevions une récompense ou toute autre
marque d'appréciation de notre travail.
Formation des équipes de pairs
et/ou de leurs formateurs ?
Lorsque le projet a commencé
à bénéficier d'une plus large reconnaissance
de l'extérieur, nous avons décidé d'offrir
aux élèves désireux d'aider d'autres
jeunes la possibilité de nous donner un coup de main.
Au bout d'un certain temps, nous nous sommes rendus compte
qu'il n'était pas facile d'intégrer des nouveaux
venus toutes les semaines ou tous les mois. Nous avons permis
à des jeunes élèves de nous accompagner
lors de nos sessions et de nos réunions, afin qu'ils
puissent se faire une idée de notre travail. La majorité
d'entre eux ont pu apprendre deux ou trois choses, d'autres
n'en ont eu qu'un avant-goût. Finalement, nous avons
décidé de désigner dans nos bureaux
un responsable pour chaque groupe de cinq élèves,
ce qui nous a permis de diminuer le stress.
Résultats et impacts du projet
Ce projet est toujours en cours et je ne
peux par conséquent que parler des résultats
obtenus à l'heure actuelle. Un dépliant intitulé
«La vie est trop courte pour laisser la place à
la violence» a été distribué
à 40 000 élèves au Danemark. Ce dépliant
a été produit avec le soutien financier du
Ministère des Affaires Sociales.
«Stop the Violence» réunit
plus de 7000 membres, dont la majorité ont entre
12 et 18 ans. Nous avons produit le disque maxi vinyle de
jeunes musiciens talentueux qui n'avaient jamais eu la chance
d'enregistrer. Le plus jeune avait 13 ans et le plus âgé
25.
Le disque est sorti avec l'aide du Ministère
de la Culture.
«Stop the Violence» a organisé
cinq concerts avec des musiciens de France, des États-Unis
et du Danemark. Tous ont été des succès.
Nous avons invité le célèbre
photographe Jacob Holdt à exposer ses photos sur
les États-Unis - un pays de rêve pour beaucoup
de jeunes. Ses photos mettaient en évidence la pauvreté,
le racisme, la drogue et la violence dans les villes américaines.
Nous avons visité 250 écoles
et centres pour parler du racisme, de la violence, de l'espoir
et de toutes sortes de sujets. Nous avons contribué
à trois livres sur les jeunes et leurs problèmes.
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