Section 2
Qu'est-ce
que l'éducation par groupes de pairs ?
Définitions
«Groupe de pairs. D'un point
de vue technique, le groupe de pairs désigne toute
collectivité dont les membres présentent quelques
caractéristiques communes, comme l'âge ou l'ethnie.
Ce concept fait plus généralement référence
aux groupes d'âge, et plus spécifiquement aux
groupes d'adolescents dont les membres sont étroitement
liés par une culture de jeunesse. Les groupes de
pairs d'adolescents tendent à se caractériser
par : 1) Un fort degré de solidarité sociale
; 2) une organisation hiérarchique ; 3) un code qui
rejette - ou contraste avec - les valeurs et les expériences
des adultes. D'un point de vue adulte, les groupes de pairs
sont souvent déviants, car la délinquance
trouve son soutien dans les récompenses qu'apporte
l'appartenance au groupe.» (Le pair est un membre
d'un groupe de pairs.)
(Abercrombie, 1988)
«L'éducation par groupes
de pairs est une méthode de transfert d'informations
ou de modelage de rôle, par laquelle un type d'information
ou de comportement particulier est transféré.
Les animateurs pairs s'accordent parfaitement à leur
groupe cible par le biais d'une caractéristique partagée
; que ce soit l'âge, la sexualité, le sexe,
etc.»
(Brammer/Walker, 1995)
Dans cette publication, nous nous sommes
concentrés sur le travail avec des jeunes entre 14
et 20 ans, bien que l'éducation par groupes de pairs
et les programmes s'y rapportant touchent des tranches d'âge
très variées.
Les jeunes en tant que formateurs
Les jeunes sont souvent
décrits de manière négative, comme
des fauteurs de trouble, des instigateurs et des agresseurs,
et identifiés comme responsables de maints problèmes
sociaux. En leur offrant la possibilité de créer
leurs propres programmes d'éducation et d'information,
ils parviendront à développer des qualités
d'engagement, de loyauté et d'idéalisme.
Les programmes d'éducation par groupes
de pairs permettent aux jeunes d'aborder les problèmes
qui les touchent. Le processus, en partie social, peut alors
consister à mettre en place des forums pour que les
jeunes puissent explorer de nouvelles frontières
et résoudre leurs problèmes, mais aussi à
donner aux décideurs la possibilité de mieux
comprendre le point de vue des jeunes.
La pression exercée par le groupe
de pairs sur les jeunes est traditionnellement jugée
négative : c'est au sein de ce groupe que les jeunes
«prennent des mauvaises habitudes, commencent à
fumer et à se droguer».
Utiliser cette dynamique de groupe de manière
positive, tel est l'enjeu de l'éducation par groupes
de pairs.
«Le pair en mesure de comprendre un
ardent désir d'indépendance et de maturité
et capable de tempérer ce désir par la responsabilité
et la réflexion, se trouve dans une position stratégique
pour corriger les fausses informations reçues et
façonner les valeurs de son groupe, sans perdre sa
crédibilité auprès des jeunes. Les
adolescents peuvent influer de manière décisive
sur les comportements et les valeurs de leurs amis, particulièrement
dans les situations de prise de risque.»
(Centre for Population Options, USA,
1993)
Le groupe de pairs exerce une
influence majeure sur les valeurs et les comportements de
beaucoup de jeunes. Les méthodes faisant intervenir
les groupes de pairs existent depuis plusieurs siècles,
sous des formes différentes, depuis les théories
d'Aristote jusqu'aux systèmes d'enseignement mutuel
très populaires en Europe au 18ème siècle.
Nombreux sont ceux qui ont observé les bénéfices
du travail avec des enfants ou des jeunes dans un cadre
pédagogique, formel ou informel, dans le but de les
aider à s'entraider.
Nous savons que les groupes sociaux ou
de pairs jouent un rôle capital dans la socialisation
des jeunes. A partir de l'adolescence, le groupe de pairs
pèse de manière de plus en plus décisive
sur leur vie. Il est certain que l'enfant moyen passe davantage
de temps avec ses pairs qu'avec ses parents, et notamment
à l'adolescence. J. Root - dans un article sur la
recherche pédagogique intitulé «The
Importance of Peer Groups» (l'importance des groupes
de pairs) - affirme que les pairs, compte tenu de leur importance
pour les enfants, jouent forcément un rôle
majeur au niveau de leur éducation. Il argumente
en faveur de la reconnaissance des groupes de pairs en tant
que partie intégrante des stratégies d'apprentissage.
Du fait de leur empathie et de la similitude de leurs expériences,
les animateurs pairs possèdent un réel avantage
sur leurs homologues professionnels en matière d'information
et d'éducation.
Dans cette publication, nous explorons
les multiples problèmes inhérents à
l'éducation par groupes de pairs : le contrôle
des jeunes participant à des programmes de groupes
de pairs ; leurs relations avec les adultes, tels les enseignants
ou les formateurs ; les partenariats développés
entre les jeunes et les travailleurs sociaux, comme les
responsables ou les formateurs ; et le raisonnement en faveur
du développement de tels programmes. Ces sections
sont illustrées par des exemples de «bonnes
pratiques». Des jeux et des exercices pratiques sont
inclus dans le but d'aider ceux qui désirent concevoir
des programmes et développer leur travail avec les
jeunes.
Aperçu de l'histoire de l'éducation
par groupes de pairs
Tout comme Aristote dans la Grèce
ancienne, le Dr Andrew Bell a développé l'un
des tout premiers exemples documentés d'une approche
de l'éducation par groupes de pairs, avec son système
d'enseignement mutuel dans une école de Madras, en
Inde. Comme Bell, Joseph Lancaster identifia plus tard des
approches pédagogiques par groupes de pairs dans
des programmes scolaires du 18ème siècle,
dans lesquels, sous une surveillance soigneusement organisée,
des jeunes désavantagés enseignaient la lecture,
l'écriture et l'arithmétique à leurs
pairs. Pour Lancaster et ses contemporains, ces premiers
systèmes d'enseignement mutuel représentaient
une méthode
«d'un bon rapport qualité-prix,
permettant d'optimiser l'emploi de ressources limitées».
(Lancaster, 1805)
«La dissémination du système
Bell-Lancaster à travers le Danemark, l'Angleterre,
la France, la Grèce, l'Italie, la Norvège
et la Suède constitue l'une des plus stupéfiantes
révolutions pédagogiques de tous les temps...
Son succès provenait de son efficacité comparative
à une époque où la notion de bon marché
était capitale.»
(Pollard, 1982)
Lilya Wagner, dans son étude
approfondie de l'histoire de l'éducation par groupes
de pairs, examine le développement de cette méthode
en rendant hommage au travail du pédagogue Suisse
Pestalozzi qui travaillait avec des enfants orphelins en
Suisse. Pestalozzi avait développé une approche
plus informelle de l'éducation par groupes de pairs
que Bell et Lancaster.
«... Éduquant les enfants par
le biais de rouages artificiels de tâches déshumanisées,
enfants qui, ainsi éduqués, seront employés
à éduquer les autres de la même façon
et par les mêmes méthodes.»
(Leitch, 1876)
Un rapport Américain
de 1831 dénombrait environ deux milles écoles
d'enseignement mutuel au Danemark, et autant en Suède,
en Espagne et en Sardaigne. Les Hollandais avaient précédemment
développé un système qui fut par la
suite repris par les Anglais. Cette époque de réforme
et d'évolution au sein des autorités éducatives
de l'Europe du 19ème siècle influença
fortement le développement des théories d'enseignement
dans d'autres parties du monde.
Lancaster et d'autres ont décrit
les bénéfices de ces premiers systèmes
formels pour les tuteurs eux-mêmes.
«Lancaster était parfaitement
conscient de l'effet stimulant du rôle de tuteur sur
les jeunes garçons, non seulement sur leur apprentissage,
mais aussi sur leur comportement. Ainsi, il notait que les
jeunes garçons vifs et actifs étaient le plus
souvent ceux qui allaient à l'encontre de l'ordre
et étaient les plus difficiles à raisonner.
Selon lui, la meilleure façon de les former était
d'en faire des formateurs.»
(Goodland, 1979)
A la fin des années 50, l'éducation
par groupes de pairs connut un regain en Europe, au Canada,
aux USA et en Australie, et continua à être
perçue comme une approche efficace pour transmettre
à des jeunes difficiles à atteindre des messages
à propos de la santé, du bien-être et
des questions sociales. A l'Université du Minnesota
(USA), au début des années 60, des programmes
ont été développés pour aider
les minorités à acquérir des connaissances
en matière de sciences et de mathématiques.
A Chicago et Sacramento, d'autres programmes ont identifié
le rôle de l'adulte en tant que formateur en retrait
dans le processus d'éducation par groupes de pairs.
L'on sait que la méthode des pairs,
en faisant appel à des jeunes formés pour
intervenir en tant que formateurs, diminue le nombre de
barrières qui se dressent entre enseignants et élèves.
Paulo Freire, pédagogue sud-américain, a mis
en évidence ce qu'il a appelé la «contradiction
enseignant/élève» (Freire, 1972) qui
peut faire obstacle à l'apprentissage et au développement.
Les approches par groupes de pairs, que ce soit dans des
cadres formels ou très informels, peuvent - à
condition d'un planning et de ressources adéquates
- influer de manière très positive sur les
attitudes et les comportements.
Récemment, l'éducation par
groupes de pairs a été largement exploitée
pour aborder divers problèmes autour du sida, des
techniques de prévention, de l'éducation sexuelle,
de la drogue et de l'arrêt du tabagisme. Sur les continents
africain et asiatique, le manque de ressources et le besoin
d'approches pédagogiques pour endiguer l'épidémie
de sida ont conduit à de nombreux programmes basés
sur l'énergie et l'efficacité des jeunes.
En Europe, aux USA et en Australie, le développement
de l'éducation par groupes de pairs dans le contexte
de la santé fait l'objet d'une importante documentation,
et permet d'atteindre les jeunes qui ne sont pas en contact
avec les autorités éducatives et sanitaires.
Raisonnement en faveur
de l'éducation par groupes de pairs
Beaucoup de raisons justifient
l'emploi de ce type d'éducation comme approche pédagogique
face à divers problèmes. Des spécialistes
suggèrent un raisonnement contemporain légitimant
l'emploi de l'éducation par groupes de pairs (Université
de Manchester), en se basant sur quatre points fondamentaux
:
1. Efficacité
2. Communication
3. Rentabilité
4. Habilitation
1. Efficacité
Les jeunes sont des experts «prêts
à l'emploi» détenteurs d'un avis à
propos des problèmes qui les concernent, car ils
sont en contact avec des jeunes dans des situations similaires.
Avec l'encouragement et les ressources nécessaires,
ils peuvent souvent faire en sorte «que les choses
se produisent».
2. Communication
Les jeunes peuvent faire naturellement
office de modèles car, en tant que membres du groupe
de pairs, ils possèdent le potentiel nécessaire
pour déterminer les méthodes et les approches
les plus efficaces. Cela peut se faire par l'intermédiaire
d'ateliers, de jeux, de la musique, des médias de
masse, ou encore de la discussion et du récit d'histoires
; les jeunes sont les mieux placés pour concevoir
de telles méthodes.
3. Rentabilité
Là où les ressources
sont limitées et où il faut toucher un grand
nombre de jeunes, l'éducation par groupes de pairs
peut avoir un effet multiplicateur. De tels programmes peuvent
aussi avoir des répercussions informelles, en chaîne
ou en cascade, et provoquer des réactions au sein
de la communauté locale.
4. Habilitation
En assurant une planification
sérieuse, les jeunes peuvent contrôler le processus
d'éducation et d'échanges d'informations.
Cela dépendra du cadre dans lequel se déroule
le programme. L'éducation par groupes de pairs peut
aider à encourager la participation des jeunes à
des programmes d'éducation formelle et informelle.
L'éducation, l'apprentissage
et les approches par groupes de pairs
Il existe évidemment plusieurs
approches de l'éducation par groupes de pairs ; la
suite de cette section propose la description des différents
contextes. Certains contextes s'accommoderont mieux d'une
approche pédagogique plus formelle, tandis que pour
d'autres, la participation des jeunes de la base sera une
méthode plus appropriée.
L'éducation par groupes de pairs
peut être employée dans divers contextes pédagogiques.
Il n'existe pas «une seule façon de procéder»,
mais une diversité d'approches.
Les approches éducatives, à
l'école ou hors du milieu scolaire, sont extrêmement
importantes. La manière dont nous nous référons
à ces approches dépend beaucoup du contexte.
Et il est aussi « vrai » qu'on peut
trouver des méthodes plus formelles dans l'éducation
extra-scolaire (une lecture, un exposé, des exercices
écrits …), tout comme on peut trouver des
méthodes plus informelles en milieu scolaire (travail
en groupes de projet, utilisation de l'environnement local
…). A l'époque de la rédaction de DOmino,
en 1994-1995, nous avions l'habitude de faire la distinction
entre éducation formelle et éducation informelle,
et il était assez rare de parler d'« éducation
non formelle » ou d'« apprentissage
non formel ». Depuis, le débat a progressé,
comme en témoigne la diffusion récente, par
le Forum européen de la jeunesse, d'un document d'orientation
intitulé « les organisations de jeunesse
en tant que pourvoyeurs d'éducation non formelle
- reconnaître notre rôle » (novembre 2003).
Il est désormais plus fréquent de parler d'éducation
informelle pour décrire des situations d'apprentissage
non programmées : au sein de la famille, dans
le bus, lors d'une conversation avec des amis. Cependant,
dans la présente édition en ligne, nous avons
choisi de ne pas modifier la terminologie. Ça vous
changera peut-être !
Dans la partie du chapitre 5 consacrée
à l'éducation, le manuel « Repères »
décrit les défis que les systèmes éducatifs
doivent relever aujourd'hui, et souligne la nécessité
d'une complémentarité entre éducation
formelle et éducation non formelle.
Pour faciliter le planning et éviter
la confusion, on peut distinguer trois types d'approches
distinctes :
1. L'éducation par groupes de pairs
dans le cadre pédagogique formel
Dans les écoles,
l'éducation par groupes de pairs est initiée
par les enseignants dans le but de conférer la responsabilité
du programme aux élèves et aux étudiants.
Lors de ce processus, le rôle de l'enseignant évolue
pour passer d'un rôle d'initiateur et de professeur,
à celui d'animateur et de consultant. Idéalement,
l'enseignant devrait devenir superflu dans la suite du programme.
En termes de méthodes, cette approche
peut se concrétiser par des groupes sans enseignant,
la formation de binômes, la responsabilisation des
étudiants (Keller, 1968) et l'ouverture de ces cadres
formels à un public élargi.
(Projet de référence, Section
5 : Programme de médiation dans les écoles
du Jugendbildungswerk Offenbach, Allemagne)
2. L'éducation par groupes de pairs
dans le cadre pédagogique informel
L'éducation par groupes
de pairs «hors cadre scolaire» concerne les
organisations de jeunesse, les services et les agences de
jeunesse, et le travail social et de jeunesse en général.
L'objectif, qui consiste à confier aux jeunes la
responsabilité de l'éducation d'autres jeunes,
peut être atteint par l'intermédiaire du secteur
extrascolaire. Pour les adultes, le défi de l'éducation
hors cadre scolaire consiste à se retirer progressivement
des programmes d'éducation par groupes de pairs,
à accepter une «perte de contrôle»
et à faciliter l'action, parallèlement aux
programmes structurés, dans les organisations, les
agences et les services. Les programmes d'éducation
par groupes de pairs peuvent toucher un public plus large,
au-delà des «membres» de l'organisation
et des institutions, et peuvent par conséquent contribuer
à la synthèse et à l'enrichissement.
(Projets de référence, Section
5 : Programme de diminution des préjugés de
NCBI, programme de RFSL à Stockholm)
3. L'éducation par groupes de pairs
initiée par les jeunes - Initiatives de la base
Les jeunes ressentent l'urgence
de gagner le soutien d'autres jeunes sur un sujet ou une
question importante à leurs yeux. Pour ce faire,
ils organisent des actions avec des effets multiplicateurs.
Cette approche est en fait la «véritable»
éducation par groupes de pairs, sans aucune influence
des adultes, du début jusqu'à la fin du projet.
(Projets de référence, Section
5 : Programme "Stop The Violence" au Danemark,
"The Guardian Angels")
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