Manuel pour la pratique de l’éducation aux droits de l’homme avec les enfants
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7. LA FAMILLE ET LES PRISES EN CHARGE ALTERNATIVES

La famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’État.

Déclaration universelle des droits de l’homme, article 16.3

La Convention des droits de l’enfant (CDE) reconnaît la famille comme l’entité naturelle la plus apte à protéger l’enfant et à lui offrir les conditions propices à un développement sain. L’enfant a droit aux soins, à la sécurité et à une éducation respectueuse de sa personne et de son individualité. L’article 3 de la CDE stipule que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être la considération primordiale des parents.

Chaque enfant a le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux (article 7). La CDE confie la responsabilité du bien-être des enfants à la fois aux parents et à l’État, les États parties devant respecter la responsabilité qui incombe au premier chef aux parents d’élever leurs enfants et de veiller à leur épanouissement (article 5) et prendre toutes les mesures appropriées pour aider les parents à remplir leurs obligations. C’est aux parents qu’incombe la responsabilité principale d’assurer les conditions de vie nécessaires au développement de l’enfant mais, s’ils ne sont pas en mesure de le faire, l’État a l’obligation de leur apporter son aide et sa contribution (article 27).

Les parents ont le devoir de guider l’enfant d’une manière qui corresponde au développement de ses capacités, autrement dit en reconnaissant que, tandis que l’enfant grandit, il doit pouvoir se faire entendre sur les questions le concernant (article 14). Conformément à la CDE, les parents doivent considérer leur enfant comme un acteur social et un détenteur de droits, et pas seulement comme leur propriété.

Qu’est-ce qu’une famille ?

En plus de la famille « traditionnelle », formée de deux parents mariés et de leurs enfants biologiques, il existe en Europe plusieurs autres modèles de cellules familiales :

  • la famille élargie à plusieurs générations ;
  • la famille monoparentale dans laquelle un parent est absent, que ce soit pour cause de divorce, d’abandon du conjoint, de décès ou encore d’autres raisons ;
  • la famille adoptive ou d’accueil ;
  • la famille nucléaire recomposée, avec un parent et un beau-parent, parfois des demi-frères et sœurs et/ou biologiques ;
  • l’union de facto de deux personnes qui vivent ensemble sans être mariées ;
  • les familles avec des parents de même sexe ;
  • les familles composées d’enfants et de grands parents.

De plus en plus, les enfants sont susceptibles de connaître des phases de transition entre différentes organisations familiales et de vivre avec un seul de leurs parents ou un beau-parent. Cependant, dans tous les pays européens, au moins deux tiers des enfants passent la majeure partie de leur enfance dans leur famille avec leurs parents biologiques.

Quelle que soit la structure familiale, les parents ont la responsabilité mutuelle de prendre soin de l’enfant, même s’ils sont séparés. L’article 18 de la CDE reconnaît le principe selon lequel les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d’élever l’enfant et d’assurer son développement. Plusieurs gouvernements européens ont entrepris d’améliorer les politiques qui prennent en charge les besoins des familles et des parents, comme les congés de paternité et les gardes d’enfants pour les parents qui travaillent. L’offre de chances égales pour les enfants, indépendamment de leur genre, conditions sociales ou des revenus familiaux, est essentielle pour aider les parents dans leurs responsabilités parentales.

Les défis pour les familles européennes

Les familles en Europe se heurtent à de nombreuses difficultés :

  • Les parents qui travaillent : De plus en plus, les deux parents occupent un emploi. Les longues heures de travail ainsi que les incompatibilités entre travail et responsabilités familiales posent de nombreux problèmes. Au moins 10% des parents en Union européenne et 15% dans les nouveaux pays membres de l’UE rapportent des difficultés à remplir leurs responsabilités familiales à cause d’un travail excessif – les parents des enfants de moins de trois ans étant les plus en difficulté.1
  • Les familles monoparentales : Dans les pays européens, 80% des enfants vivent avec leurs deux parents. Mais ce pourcentage est très variable d’un pays à l’autre, avec plus de 90% en Grèce et en Italie, et moins de 70% au Royaume-Uni. Ces chiffres reflètent de fortes disparités géographiques : en Belgique, Grèce, Italie, Portugal et Espagne, moins de 9% des enfants vivent avec un seul parent ; en revanche, ils sont entre 10 et 15% en Autriche, République tchèque, France, Allemagne, Hongrie, Pays-Bas, Pologne et Suisse.2

Le Conseil de l’Europe a largement traité ces thèmes. En 2006, le Comité des Ministres a produit une recommandation aux États membres relative aux politiques visant à soutenir une parentalité positive. Cette recommandation définit la parentalité positive comme « un comportement parental fondé sur l’intérêt supérieur de l’enfant qui vise à l’élever et à le responsabiliser, qui est non violent et lui fournit reconnaissance et assistance, en établissant un ensemble de repères favorisant son plein développement ». Le texte souligne l’importance de plusieurs éléments :

  • la parentalité positive ;
  • les services publics d’aide aux parents ;
  • les services pour les parents en risque d’exclusion sociale ;
  • l’équilibre entre travail et vie familiale ;
  • les services de garde d’enfants.3

Déjà en 2006, le Conseil de l’Europe avait produit un rapport sur la parentalité positive en Europe, définissant le rôle des parents ainsi que la notion de traitement approprié et d’éducation non violente (voir Thème 13 : La violence, p. 280). Le rapport met en exergue les aspects ci-après qu’il juge essentiels pour les enfants.

  • Les soins de base : Assurer les besoins physiques de l’enfant ; par exemple la nourriture, l’affection, un abri, l’hygiène, un habillement approprié et des soins médicaux.
  • La sécurité : Faire en sorte que l’enfant soit en sécurité, en le protégeant de ce qui est nuisible et dangereux, à l’intérieur comme à l’extérieur de la maison.
  • Affection : Veiller à ce que l’enfant ait un soutien affectif et se sente valorisé.
  • Stimulation : Stimuler le développement intellectuel de l’enfant et ses capacités d’apprentissage en lui parlant, en l’encourageant, en se joignant à ses jeux et en améliorant ses chances éducatives.
  • Assistance et limites : Conseiller, fixer des limites et montrer à l’enfant comment il doit se comporter.
  • Stabilité : Prodiguer constamment à l’enfant l’affection nécessaire, répondre à ses besoins et veiller à ce qu’il soit en contact avec les personnes qui comptent pour lui.4

La CDE reconnaît que les enfants peuvent être séparés de leurs parents pour diverses raisons : divorce, déplacement de la famille pour cause de voyage ou de conflit, décès de l’un des parents, traite ou abandon. Quelle qu’en soit la cause, la séparation affecte beaucoup les enfants, mettant en danger leur bien-être, leur éducation et leur développement. Pour cette raison, les enfants ont le droit de ne pas être séparé de leur famille sauf dans des cas graves où une instance judiciaire estime qu’il en va de son meilleur intérêt (article 9).

QUESTION : Un des principes fondamentaux de la CDE est l’intérêt supérieur de l’enfant. Mais qui en décide ? Par exemple, qui devrait décider s’il est dans le meilleur intérêt de l’enfant de rester auprès de parents incompétents ? D’autres membres de la famille ? L’enfant ? Qui d’autres ?

Cela étant, tous les parents ne sont pas capables ou désireux d’assurer une parentalité positive et tous les enfants ne peuvent être laissés dans le milieu familial. L’article 20 de la CDE stipule :

Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciales de l’État… [qui doit] prévoir pour cet enfant une protection de remplacement.

Ces mesures sont réservées à des cas extrêmes. Dans de nombreux pays européens, le système de protection de l’enfance et les institutions compétentes proposent des prestations de grande qualité pour les enfants à risque. Cependant, dans certains pays, les enfants sont parfois abusivement placés en institutions et pour des périodes trop longues. Ceux qui vivent hors de leur famille ou privés de soins parentaux sont plus exposés à la discrimination, aux sévices et à l’exploitation, de même qu’à des troubles affectifs et sociaux du fait de la négligence.

Il faudrait accorder plus d’attention aux dispositions alternatives pour la prise en charge des enfants et y inclure les solutions informelles et formelles de placement, la prise en charge par des membres de la famille et l’adoption. Il faudrait aussi développer les services sociaux locaux, comme les garderies d’enfants, mais aussi l’éducation des parents et des aides domestiques, pour soulager les parents, les familles élargies, ainsi que les collectivités qui s’occupent des enfants dont les parents manquent de disponibilité.

Dans la plupart des villes européennes, des enfants vivent dans la rue. Malgré leur visibilité – ils vivent et travaillent dans la rue –, il n’existe pas de données fiables sur leur identité et leur nombre, ce qui rend très difficile pour les autorités de garantir que ces enfants bénéficient des soins de santé vitaux, de l’éducation de base et d’une protection à l’égard des dangers. Ils sont également invisibles parce que beaucoup choisissent d’ignorer ces enfants qui incarnent le plus grand des échecs de nos sociétés. Ce problème, d’envergure mondial, est en train de s’aggraver, nourri de la pauvreté, de la désintégration familiale, des maltraitances physiques et morales, de l’abandon, de la négligence et du malaise social. La prostitution, la traite, le crime, la drogue, la violence des gangs et même les violences policières sont des risques potentiels pour beaucoup ; pour d’autres, ils font déjà partie de leur réalité.

Travailler avec les enfants sur les questions concernant la famille

Lorsqu’ils abordent avec les enfants les questions concernant la famille, les animateurs doivent éviter tout comportement ou attente stéréotypée au sujet des structures familiales. Les enfants doivent comprendre et accepter les divers types de famille et développer empathie et solidarité les uns envers les autres. Un objectif important est qu’ils apprennent à connaître leurs droits au sein de la famille, comme la participation et la non-violence.

Les discussions sur la vie familiale risquent d’éveiller chez les enfants, et les adolescents en particulier, des sentiments conflictuels. Il peut alors être utile de consulter les parents et les travailleurs sociaux, sauf si les activités ont mis en évidence une situation de violence domestique. Dans de tels cas, il est important que les enfants comprennent qu’ils ne sont pas coupables des maltraitances subies, y compris des abus sexuels. Il convient de les encourager à parler de leurs problèmes à des amis ou à des adultes de leur entourage qui pourraient leur être d’un grand secours. (Voir le Thème 13 : La violence, p. 280)

Les instruments de droits de l’homme applicables

Conseil de l’Europe

L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme protège « le droit de toute personne au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance » de l’ingérence de l’État. Ce droit témoigne de l’importance de protéger le cercle familial, en d’autres termes l’unité sociale qui élève la plupart des enfants jusqu’à l’âge adulte.

La Charte sociale européenne révisée, à l’article 16, protège le droit de l’enfant en tant que membre de la famille :

En vue de réaliser les conditions de vie indispensables au plein épanouissement de la famille, cellule fondamentale de la société, les Parties s’engagent à promouvoir la protection économique, juridique et sociale de la vie de famille.

D’autres conventions du Conseil de l’Europe protègent les droits de l’enfant né hors mariage ou adopté. Les droits des enfants et leur intérêt supérieur dans les procédures judiciaires sont garantis par la Convention des droits de l’enfant.

Nations Unies

La Déclaration universelle des droits de l’homme stipule que « la famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’État » (article 16). En vertu de l’article 12, la famille est une des sphères de vie où chacun a droit à la protection contre toute ingérence arbitraire. Cela étant, la DUDH ne définit pas la famille, terme qui, au XXIe siècle, peut désigner des structures autres que le traditionnel schéma familial – à savoir deux parents et leurs enfants biologiques.

La Convention des droits de l’enfant accorde une plus grande importance à la famille, déclarant dans son préambule qu’elle n’est pas seulement l’unité fondamentale de la société mais aussi « le milieu naturel pour la croissance et le bien-être de tous ses membres, et en particulier des enfants ». Elle recommande par ailleurs le milieu familial pour l’épanouissement harmonieux de la personnalité de l’enfant.

La Convention énonce des dispositions précises pour l’enfant séparé de sa famille pour diverses causes, encourage la réunification familiale et reconnaît que, dans certains cas, il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant d’être séparé de sa famille lorsqu’elle n’est pas en mesure de l’élever correctement (articles 9, 10, 20, 21 et 22). Pour autant, les parents restent de toute première importance. L’État est ainsi tenu de « respecter la responsabilité, le droit et le devoir qu’ont les parents ou, le cas échéant, les membres de la famille élargie ou de la communauté » (article 5). L’article 7 souligne l’importance de la famille pour la définition de l’identité de l’enfant et le droit inhérent de celui-ci de connaître ses parents et d’être élevé par eux (article 7). Aux parents incombe au premier chef la responsabilité de l’éducation, du développement et du soutien financier de l’enfant, en vertu du principe selon lequel « les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d’élever l’enfant et d’assurer son développement » (articles 18 et 27). Mais, lorsque les parents ne sont pas en mesure d’exercer la responsabilité qui leur incombe, l’État doit leur apporter l’aide appropriée (article 18.2).

Comme la DUDH, la CDE interdit les immixtions arbitraires ou illégales dans la vie privée de l’enfant, sa famille, son domicile et les atteintes illégales à son honneur et à sa réputation (article 16). Qui plus est, l’enfant a droit à une éducation qui lui inculque « le respect de ses parents, de son identité, de sa langue et de ses valeurs culturelle » (article 29.c).

Ressources utiles

  • « Evolution de la parentalité : enfants aujourd’hui, parents demain », Conférence européenne des Ministres chargés des affaires familiales : Lisbonne, Conseil de l’Europe, mai 2006 : www.coe.int/t/dg3/youthfamily/source/2006minconFinaldeclaration_en.pdf
  • Child Poverty in Perspective : An overview of child well-being in rich countries : Centre de recherche Innocenti, Unicef, Florence, 2007 : www.unicef-icdc.org/publications/pdf/rc7_eng.pdf
  • Child Protection Information Sheet : Children Without Parental Care : Unicef, mai 2006 :
    www. unicef.org/protection/files/Parental_Care.pdf
  • Daly, Mary, ed., La parentalité dans l’Europe contemporaine : une approche positive : Conseil de l’Europe, 2007
  • Rapport explicatif sur les politiques visant à soutenir une parentalité positive, 983e Réunion du Comité européen pour la cohésion sociale, CM(2006)194 add : Conseil de l’Europe, 2006
  • Flaquer, Lluis, Poverty in Southern Europe : Barcelone, Institute of Childhood and Urban World, Faculté de sociologie, Université autonome de Barcelone, 2005 : http://devel.ciimu.org/webs/wellchi/reports/workshop_2/ww2_fl aquer.pdf
  • Hantaris, Linda ; Philipov, Dimiter; Billari, Francesco C., Policy implications of changing family formation (Etudes démographiques n° 49) : Conseil de l’Europe, 2006
  • Rights of Children at risk and care, Conseil de l’Europe, 2007
  • Krieger, Hubert, Family Life in Europe : résultats d’enquêtes récentes sur la qualité de vie en Europe, Document présenté lors de la conférence de la présidence irlandaise « Families, change and social policy in Europe », Dublin, 2004 : www.eurofound.europa.eu/docs/areas/populationandsociety/krieger040513.pdf
  • Recommandation Rec(2006)19 du Comité des Ministres aux États membres relative aux politiques visant à soutenir une parentalité positive : Conseil de l’Europe, 2006 : http://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=1073507&BackColourInternet=
    9999CC&BackColourIntranet=FFBB55&BackColourLogged=FFAC75
  • Which Are the Provisions in the Family Law that Foster Children’s Well-being and Which Kind of Reforms Should Be Envisaged in this Respect?, Wellchi Network Workshop 2 : Sofia, Institute For Legal Studies, Bulgarian Academy Of Sciences, 2005 : www.ciimu.org/webs/wellchi/reports/workshop_2/w2_abstracts.pdf

Références

1. Krieger, Hubert, Family Life in Europe: résultats d’enquêtes récentes sur la qualité de vie en Europe, document présenté lors de la conférence de la présidence irlandaise « Families, change and social policy in Europe », Dublin, 2004

2. Child Poverty in Perspective: An overview of child well-being in rich countries, Centre de recherche Innocenti, Unicef, 2007

3. Recommandation Rec(2006)19 du Comité des Ministres aux États membres relative aux politiques visant à soutenir une parentalité positive: Conseil de l’Europe, 2006

4. Rapport explicatif sur les politiques visant à soutenir une parentalité positive, 983e Réunion du Comité européen pour la cohésion sociale, CM(2006)194 add: Conseil de l’Europe, 2006