Manuel pour la pratique de l’éducation aux droits de l’homme avec les enfants
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4. L’ÉDUCATION ET LES LOISIRS

La seule façon d’éduquer à la démocratie, c’est de l’enseigner démocratiquement. Sur ce principe, un cercle vertueux peut se dessiner à partir d’un accès amélioré et élargi à l’éducation pour aboutir à un respect renforcé des droits de l’homme.

Allocution de Maud de Boer-Buquicchio
Secrétaire Générale adjointe du Conseil de l’Europe

L’éducation est en soi un droit fondamental. Essentielle au développement des hommes, elle est aussi un outil pour acquérir les autres droits et les exercer. L’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) stipule que toute personne a droit à l’éducation et que l’éducation doit être gratuite, du moins en ce qui concerne l’enseignement élémentaire et fondamental. L’article 2 du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme garantit le droit à l’éducation pour tous. Il faut ouvrir largement les établissements d’enseignement secondaire, les formations professionnelles et les études universitaires qui, aujourd’hui en Europe, ne sont pas encore accessibles à tous.

Mais de nos jours, ce libre accès à l’éducation fondamentale n’est plus considéré comme une garantie suffisante du droit à l’éducation. Trois autres exigences doivent être satisfaites :

  1. L’égalité des chances : L’État doit garantir non seulement un accès égal, mais aussi des chances égales de réussite. Certains enfants, par exemple, vont avoir besoin d’une aide supplémentaire ou de conditions particulières pour y arriver. Les enfants malentendants, notamment, ont droit à des aménagements raisonnables pour effectuer leur scolarité, comme la langue des signes, des aides auditives et des interprètes. Il conviendrait de procéder à de semblables adaptations pour que tous les enfants « à besoins spéciaux » puissent étudier dans les mêmes classes que les autres enfants avec les mêmes chances de réussite. Certains enfants, comme ceux de la famille des gens du voyage dans quelques pays européens, seraient privés d’éducation si une scolarisation adaptée à leur mode de vie nomade n’était pas prévue.

L’égalité des chances de réussite scolaire exige la prise en considération d’autres aspects, comme l’emploi de la langue maternelle de l’enfant, les conditions dans lesquelles se font les devoirs à la maison, l’accès à des livres ou encore une difficulté particulière. L’apprentissage dans la langue maternelle favorise la réussite ; c’est aussi un droit culturel. Le décrochage scolaire n’est pas une solution aux difficultés d’apprentissage. La solution se trouve du côté d’enseignants ayant bénéficié d’une solide formation, capables de distinguer les différents modes de vie, avec l’aide du personnel non enseignant, comme les assistants scolaires, les médiateurs ou encore les psychologues.

  1. La qualité de l’éducation : L’État doit garantir un accès égal à une éducation de qualité. Trop souvent, il existe un système à deux vitesses, avec un enseignement réservé aux élites qui profite d’enseignants compétents et d’infrastructures de grande qualité, et un enseignement pour les pauvres sans moyens techniques ni ressources humaines. Il faudrait que soit garantie une éducation de base pour tous, jusqu’à un certain âge, qui promeuve les savoirs et les capacités requises pour l’avenir. Mais, en matière d’éducation, la qualité ne peut se suffire de l’injection de plus de matériels dans le système scolaire, ni du renforcement de l’efficacité de l’école. Comme la définit l’Unesco13, l’éducation de qualité doit être à la fois fondée sur une approche par les droits de l’homme et couvrir des domaines nouveaux tels que la diversité culturelle, le multilinguisme dans l’éducation, la paix et la non-violence, le développement durable et les compétences pour la vie.
  2. L’éducation pour le plein épanouissement de la personnalité humaine : L’éducation à laquelle tous les êtres humains ont droit ne se limite pas aux fondamentaux que sont la lecture et l’arithmétique. La DUDH affirme explicitement que l’éducation doit viser « au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations… ». La Convention des droits de l’enfant précise que l’éducation auquel a droit tout enfant doit :

Préparer l’enfant à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre, dans un esprit de compréhension, de paix, de tolérance, d’égalité entre les sexes et d’amitié entre tous les peuples et groupes ethniques, nationaux et religieux, et avec les personnes d’origine autochtone.

CDE, article 29

Le droit à l’éducation implique donc également le droit à une éducation aux droits de l’homme. Cette vision globale de l’éducation peut s’appliquer à l’éducation tant formelle que non formelle, autrement dit aux programmes éducatifs mis en oeuvre hors du système scolaire formel, souvent par des organisations non gouvernementales. Précisions que ces deux formes d’éducation sont complémentaires.

À certains enfants, il peut paraître étrange que l’éducation soit un droit mais également une obligation. Ils comprendraient mieux cette exigence si on leur parlait de ces enfants qui n’ont pas accès à l’école et des conséquences d’une telle privation sur leurs vies actuelles et futures.

Le travail des enfants est indissociable de la question de leurs droits. Tandis que les adultes ont « droit au travail », eux ont droit à une protection eu égard à un travail excessif ou dangereux. Le travail des enfants, c’est d’aller à l’école ! Mais certains doivent travailler pour faire vivre leur famille. Tous les enfants peuvent d’ailleurs aider leur famille et, d’ailleurs, ils le devraient. Beaucoup travaillent l’été pour gagner de l’argent de poche, ce qui constitue une expérience particulièrement riche au plan éducatif. Cependant, les enfants doivent savoir qu’il existe des lois pour les protéger des sévices et des activités présentant un danger ou un risque pour leur santé. Le travail d’un enfant ne devrait donc jamais interférer avec son droit à l’éducation, ou encore son droit de se reposer et de s’amuser (CDE, articles 32 et 36). Par des livres ou des films, les enfants peuvent apprendre qu’autrefois, les enfants travaillaient et étaient exploités. Aux plus grands, il faudrait faire découvrir les formes modernes du travail des enfants et leur faire comprendre les différences entre un travail adapté à leur âge et ce qui constitue une forme d’exploitation.

Les défis à l’éducation au XXIe siècle et le recentrage des politiques éducatives

En 1996, une Commission de l’Unesco a esquissé les sept tensions principales confrontant le monde et affectant l’éducation :14

  1. La tension entre le global et le local ;
  2. La tension entre l’universel et l’individuel ;
  3. La tension entre la tradition et la modernité ;
  4. La tension entre le spirituel et le matériel ;
  5. La tension entre les considérations à long terme et celles à court terme ;
  6. La tension entre la compétition et l’égalité des chances ;
  7. La tension entre l’extraordinaire expansion du savoir et la capacité des êtres humains à l’assimiler.

En guise de stratégie pour aider à relever ces défis, l’Unesco a défini ce qu’elle appelle les quatre « piliers » de l’apprentissage :

  1. Apprendre à vivre ensemble : l’éducation devrait renforcer chez les étudiants les savoir-faire et aptitudes susceptibles de les aider à accepter leur interdépendance mutuelle ; à résoudre les conflits ; à travailler et planifier ensemble des objectifs et un avenir communs ; à respecter le pluralisme et la diversité (par exemple, sexuelle, ethnique, religieuse et culturelle) ; à participer activement à la vie de la communauté.
  2. Apprendre à connaître : l’éducation devrait aider les étudiants à acquérir les instruments du savoir – les outils essentiels à la communication et à l’expression orale, la lecture, l’arithmétique et l’art de résoudre les problèmes ; à posséder à la fois une solide culture générale et la connaissance approfondie de quelques problèmes ; à comprendre les droits et les responsabilités ; et surtout, à apprendre à apprendre.
  3. Apprendre à faire : l’éducation devrait aider les étudiants à acquérir des savoir-faire professionnels et des compétences sociales et psychologiques qui leur permettront de prendre des décisions informées dans diverses situations, de gérer les relations sociales et professionnelles ; de participer aux marchés locaux et mondiaux ; d’utiliser les outils technologiques ; de satisfaire leurs besoins fondamentaux et d’améliorer leur qualité de vie et celle d’autrui.
  4. Apprendre à être : l’éducation devrait contribuer à l’épanouissement de la personnalité des individus et leur permettre d’agir avec davantage d’autonomie, de jugement, de réflexion critique et de responsabilité personnelle. Elle devrait viser à développer toutes les facettes du potentiel de chacun, par exemple la mémoire, le raisonnement, le sens esthétique, les valeurs spirituelles, les capacités physiques et l’art de la communication ; un mode de vie sain, le goût du sport et des loisirs ; l’appréciation de sa propre culture ; le respect d’un code éthique et moral ; l’art de se faire valoir et de se défendre ; la capacité de rebondir.

Ces défis éducatifs ont incité d’autres organisations internationales à élaborer de nouvelles stratégies pour réaliser les futurs objectifs de l’éducation. L’Union européenne, dans sa Stratégie de Lisbonne15, spécifie les compétences clés à acquérir pour l’exercice d’une citoyenneté européenne éclairée et efficace :

  • la communication dans la langue maternelle ;
  • la communication en langues étrangères ;
  • la compétence mathématique ;
  • les compétences de base en sciences et technologies ;
  • la compétence numérique ;
  • apprendre à apprendre ;
  • les compétences sociales et civiques ;
  • l’esprit d’initiative et d’entreprise ;
  • la sensibilité et l’expression culturelles.

Deux concepts clés sous-tendent les politiques éducatives européennes : l’apprentissage tout au long de la vie opéré dans une société de l’apprentissage. L’idée est celle d’une communauté dans laquelle les individus ont accès à différentes possibilités pour développer leurs compétences. De plus en plus, il est reconnu que l’éducation formelle et l’éducation non formelle ont un rôle complémentaire à jouer dans ces processus. L’éducation non formelle permet en effet d’aborder une grande diversité de sujets avec des méthodologies variées. Des millions d’enfants et d’adultes privés de l’accès à l’éducation formelle ou illettrés profitent de cette approche plus souple pour acquérir une instruction élémentaire ainsi que d’autres compétences.

QUESTION : Avez-vous déjà participé à une formation non formelle ? Qu’en avez-vous pensé ? En quoi est-ce différent de l’éducation formelle ?

Le droit au jeu et aux activités récréatives

Jouer est essentiel à la santé et au développement de l’enfant, au point de figurer parmi les droits fondamentaux de l’enfant énoncés par la CDE (article 31). Pour l’Association internationale pour le jeu (International Play Association, IPA), le jeu est une activité fondamentale pour le développement du potentiel de l’enfant, car jouer est une façon d’apprendre à aimer et inventer la vie, et pas seulement un moyen de passer le temps16. À tout âge, un enfant qui joue développe des capacités, fait travailler son corps et son imagination et participe à un processus crucial de socialisation. Le même article de la CDE poursuit en affirmant que les enfants ont le droit de « … participer pleinement à la vie culturelle et artistique, et (les États) encouragent l’organisation à son intention de moyens appropriés de loisirs et d’activités récréatives, artistiques et culturelles, dans des conditions d’égalité ».

Le jeu, les activités culturelles et artistiques ne remplissent pas uniquement des fonctions récréatives et distrayantes. Ces activités contribuent au développement de l’autonomie de l’enfant et promeuvent ses capacités interpersonnelles et interculturelles. Elles permettent aux enfants de faire l’expérience des principes fondamentaux des droits de l’homme, à savoir le respect, la dignité, l’égalité, l’inclusion, l’équité et la coopération.

Le sport véhicule lui aussi les valeurs de la participation, de la coopération, de l’engagement, de l’effort et de la compétition. Mais, pour retirer ces bénéfices éducatifs, les animateurs comme les enfants doivent mettre à profit les activités sportives dans cet objectif précis, tout en étant conscients des dangers qui leur sont inhérents, notamment lorsque la compétition prend le dessus.

Les organisations internationales, les droits de l’homme et l’éducation

Le Programme « L’éducation pour tous » de l’Unesco

Le Forum mondial sur l’éducation tenu en 2006 a adopté le Cadre d’action de Dakar, la nouvelle stratégie mondiale « L’éducation pour tous » que va mettre en oeuvre l’Unesco et les gouvernements dans la prochaine décennie. Ce programme met l’accent sur l’éducation précoce des enfants, la qualité de l’éducation, l’élimination de la discrimination de genre entre filles et garçons et l’amélioration des compétences pour la vie.

Conseil de l’Europe

Les activités du Conseil de l’Europe en matière d’éducation sont basées sur la Convention culturelle européenne. Deux services de l’Organisation sont concernés, la Direction de l’Education scolaire, extrascolaire et de l’Enseignement supérieur et la Direction de la Jeunesse et du Sport. Les activités de la première sont axées sur la qualité de l’éducation, les politiques éducatives actuelles, le dialogue interculturel par le biais de l’éducation et l’éducation à la citoyenneté démocratique.

La Direction de la Jeunesse et du Sport élabore des lignes directrices et initie des programmes pour le développement de politiques cohérentes et efficaces en faveur de la jeunesse et de l’enfance aux niveaux local, national et européen. Elle apporte un soutien financier et éducatif aux activités internationales mises en oeuvre pour promouvoir la citoyenneté démocratique des enfants et des jeunes, mais aussi la participation, l’éducation aux droits de l’homme, la cohésion sociale et l’inclusion des jeunes. Le secteur jeunesse du Conseil de l’Europe fonctionne à la manière d’un centre européen de ressources en matière d’éducation non formelle.

Le Conseil de l’Europe promeut par ailleurs le sport comme vecteur du fair-play et de la tolérance chez les jeunes, et encourage des modes de vie sains et la participation aux activités sportives. Par exemple, conjointement avec l’Union européenne, le Conseil de l’Europe a produit « Le guide du sport propre », outil pédagogique destiné aux écoles et aux organisations sportives.

Ressources utiles

Sites Web utiles

Références

1. Voir Unesco, Education à la paix et aux droits de l’homme: www.portal.unesco.org/education

2. Delors, Jacques, L’éducation: un trésor est caché dedans, Rapport à l’Unesco de la Commission internationale sur l’éducation pour le XXIe siècle: UNESCO Publishing, 1996, p.16

3. Recommandation du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006 sur les compétences clés pour l’éducation et la formation tout au long de la vie (2006/962/EC), Journal officiel de l’Union européenne, 2006

4. « Déclaration » de la International Play Association, 1982