Manuel pour la pratique de l’éducation aux droits de l’homme avec les enfants
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2. LA DÉMOCRATIE

Il est vital de promouvoir une culture de la démocratie et des droits de l’homme chez les enfants et les jeunes quand on sait que leurs comportements et leurs attitudes, formés précocement, seront décisifs pour leur implication future dans les affaires publiques.

Conclusions du Forum du Conseil de l’Europe pour l’avenir de la démocratie, juin 2007

La démocratie, c’est quoi ?

Jamais, dans l’histoire de l’Europe, la démocratie ne s’était affirmée avec autant d’ampleur et de force qu’en ce début de XXIe siècle. Presque toutes les sociétés européennes peuvent se prétendre démocratiques à partir du moment où elles reposent sur les principes d’une citoyenneté souveraine, une prise de décision transparente et un gouvernement tenu de rendre des comptes. Ces principes, quoique difficiles à appliquer dans la réalité, sont globalement la voie à suivre pour le développement de la démocratie dans l’Europe d’aujourd’hui.

Démocratie vient du grec demos, qui signifie le peuple, et de kratos, qui signifie le pouvoir. Aussi définit-on souvent la démocratie comme le pouvoir du peuple ; en d’autres termes, il s’agit d’un système d’élaboration de règles institué par le peuple qui doit obéir à ces règles. De nos jours, la plupart des individus et la plupart des pays du monde voient dans la démocratie le seul système de gouvernement valide et viable.

La démocratie est sous-tendue par deux principes fondamentaux :

  • le principe de l’autonomie individuelle : nul ne doit être soumis à des règles imposées par d’autres ;
  • le principe de l’égalité : chacun doit avoir la même possibilité de peser sur les décisions qui touchent les membres de la société.

Les autres systèmes violent ces deux principes, parce que le pouvoir y est détenu par une personne ou une classe sociale qui prend les décisions pour le reste de la population. Par exemple, dans une oligarchie, le pouvoir est entre les mains d’un petit groupe de privilégiés qui se distinguent des autres par leur richesse, leur naissance ou leurs pouvoirs militaires. Dans une ploutocratie, le gouvernement est contrôlé par les plus riches ; dans une dictature par un seul individu tout puissant. Ces formes de gouvernement ne respectent ni l’autonomie individuelle ni l’égalité.

Il existe de multiples formes de démocratie. Par exemple, dans la démocratie directe, les citoyens participent personnellement à la prise de décision. La forme la plus répandue est la démocratie libérale ou représentative, dans laquelle les citoyens élisent des représentants qui vont élaborer des lois et des politiques et désigner les responsables gouvernementaux. En théorie, la démocratie représentative prévoit l’élection libre et démocratique du gouvernement à la majorité des votes des personnes représentées. La démocratie libérale se caractérise par la primauté du droit, la séparation des pouvoirs, la protection des droits de l’homme et la protection des minorités. En vertu de la primauté du droit, gouvernement et judiciaire ne fonctionnent que sur la base de règles écrites. Ce principe est étroitement lié à celui de la séparation des pouvoirs, selon lequel le législatif (le parlement), l’exécutif (le gouvernement) et le judiciaire (les tribunaux) opèrent indépendamment les uns des autres. En conséquence, les groupes sociaux sous-représentés de toutes natures, comme les enfants, les femmes, les migrants, les minorités ethniques ou religieuses, sont protégés de la discrimination et leur identité, de même que leur participation, sont promues.

Le terme de démocratie fait référence à un type de société particulier, de même qu’à une forme de gouvernement particulier. Une société démocratique offre la méthode de gouvernance la plus juste pour la plupart des citoyens et la plus égalitaire, la majorité des citoyens y jouant un rôle actif plutôt que passif. Elle est soumise à un impératif moral, celui de protéger et de promouvoir les droits de l’homme de chaque individu, de chaque groupe et de chaque communauté de la société. Et, parce qu’une société démocratique tente en permanence de résoudre les problèmes sociaux dans l’intérêt du plus grand nombre, les décisions prises sont les plus susceptibles d’être respectées par les individus. Le système démocratique fonctionne aux plans local et national.

La démocratie en pratique

Il existe différentes formes de démocratie et aucune ne peut tenir lieu de modèle pour les autres. Il existe des démocraties présidentielles (comme en France, en Roumanie ou en Russie) et des démocraties parlementaires (comme au Royaume-Uni, en Slovaquie ou en Espagne). D’autres pays, comme l’Allemagne, sont dotés de structures gouvernementales fédérales. Des démocraties utilisent un système de vote proportionnel quand d’autres lui préfèrent le vote majoritaire. Toutes ont cependant en commun un certain nombre de principes, dont l’égalité de tous les citoyens et le droit de chacun à un certain degré d’autonomie personnelle. Mais il ne s’agit pas pour chaque individu d’agir comme il l’entend. Cela signifie que le système confère une voix égale à tous les citoyens et reconnaît que chacun est capable d’un choix indépendant et a droit à la prise en considération de son choix. Après quoi, bien des choses dépendent de l’initiative et de la participation de chacun.

Dans quelle mesure les démocraties respectent le principe de l’égalité et permettent à leurs citoyens d’influer sur les décisions est un autre point qui les différencie fortement. Les plus démunis peuvent avoir plus de difficultés à se faire entendre. Les femmes, moins présentes sur la scène politique, peuvent avoir moins de possibilités de peser sur les décisions, même sur celles qui les concernent tout spécifiquement. Certains groupes sociaux, comme les enfants et les travailleurs étrangers, peuvent ne pas avoir le droit de vote. Dans le même temps, certains peuvent avoir le sentiment que les règles leur sont imposées par des représentants élus qui ne relaient pas leurs intérêts. Où sont alors les principes démocratiques fondamentaux ? Dans quelle mesure pouvons-nous nous sentir « propriétaires » des lois et des décisions de nos gouvernements ?

La démocratie n’est jamais ni parfaite ni entière. Karl Popper a même affirmé : « Le mot démocratie désigne quelque chose qui n’existe pas ». Le propos est peut-être quelque peu exagéré, mais il est vrai que la démocratie est un idéal. Il appartient aux citoyens de définir à quel point leur société peut s’en rapprocher.

La démocratie ne fonctionne qu’à la condition de citoyens actifs

La démocratie est davantage qu’un code électoral. C’est un code de comportement, une attitude et un état d’esprit.

Terry Davis, discours introductif à l’Université d’été pour la démocratie, organisée par le Conseil de l’Europe, 2006

Une société démocratique n’est pas seulement un gouvernement élu démocratiquement et un système d’institutions nationales. Des pouvoirs locaux puissants et indépendants, une société civile épanouie et active aux plans local et national et une philosophie démocratique sur le lieu de travail et dans les écoles sont autant d’expressions essentielles d’une société démocratique. La démocratie est un processus pratique qu’il faut cultiver chaque jour et partout.

La démocratie est susceptible de fonctionner plus efficacement et de mieux servir les intérêts de ses citoyens si les individus formulent des exigences, exercent des pressions et contrôlent en permanence les actions de leurs gouvernements. Dans une société moderne, c’est essentiellement par l’intermédiaire des organisations non gouvernementales et des médias que les citoyens peuvent exercer ce contrôle. Les organisations non gouvernementales (ONG) peuvent militer, éduquer et mobiliser l’attention sur les grandes questions d’intérêt général, mais aussi surveiller le comportement des gouvernements et des autres instances dirigeantes. Par le biais des ONG, les citoyens peuvent être des moteurs et des vecteurs puissants du changement en faveur d’un monde plus démocratique.

Les médias ont une fonction très puissante dans les démocraties : ils relaient les informations et les opinions de divers acteurs sociaux et jouent un rôle de gendarme au nom des citoyens. Mais ils ne peuvent remplir cette fonction qu’à la condition d’être indépendants des influences et des intérêts du gouvernement et des entreprises, d’être attachés à la notion de service public et de prendre leur mission au sérieux.

Les problèmes de la démocratie

En ce début de XXIe siècle, l’inquiétude générée par l’état de la démocratie est universelle. Dans beaucoup de démocraties européennes, l’insatisfaction et le scepticisme politiques se généralisent, tout comme l’impression que l’élite se permet de faire fi de la volonté du peuple. Certains développements antinomiques de la démocratie, comme les inégalités sociales aigues et la corruption, génèrent une frustration et une colère qui risquent d’alimenter un populisme soutenu par les médias. L’impuissance et le découragement ressentis par les citoyens ne les incitent guère à s’impliquer plus activement dans la société.

Cette inquiétude résulte en grande partie du faible taux de participation électorale qui, ces quinze dernières années, connaît une baisse significative presque partout en Europe. Cette baisse, révélatrice d’un manque d’intérêt et d’implication de la part des citoyens, tend à saper le processus démocratique.

La participation des jeunes aux élections est particulièrement faible. On observe en outre un fossé grandissant entre les taux de participation des jeunes et ceux des autres groupes d’âge. Cet écart ne signifie pas forcément que les jeunes ne voteront pas plus massivement à l’avenir. Mais il en résulte d’ores et déjà une moindre représentation de leurs intérêts aux élections. Partout dans le monde, les jeunes disparaissent progressivement des institutions démocratiques et des structures traditionnelles de la vie politique, comme les partis politiques, les syndicats et les organisations de jeunesse.6

Bien que se pose là indubitablement un vrai problème, d’autres études7 indiquent une hausse de la participation, mais sous d’autres formes : groupes de pression, campagnes, initiatives civiques, organes consultatifs, et ainsi de suite. La société civile planétaire et l’activisme par le biais de l’Internet sont de nouvelles formes très souples de participation, permises par les évolutions technologiques. Les jeunes peuvent ainsi rapidement se mobiliser autour d’un problème spécifique comme, au Royaume-Uni, la guerre en Irak, ou la Révolution orange en Ukraine. L’art et le sport sont d’autres vecteurs des opinions politiques, un moyen de donner expression aux préoccupations environnementales, aux droits des femmes ou aux boycotts de consommateurs. Ces formes de participation sont tout aussi essentielles au fonctionnement effectif de la démocratie que la participation des électeurs au scrutin. Les élections, après tout, sont une façon grossière de garantir la représentation fidèle des intérêts des citoyens ; et il faut ensuite attendre quatre à cinq longues années pour pouvoir enfin demander des comptes au gouvernement. La participation au quotidien est essentielle dans une démocratie, et en premier lieu au niveau local. C’est pourquoi il faut sans cesse s’efforcer d’améliorer la participation, et notamment celle des jeunes.

QUESTION : Connaissez-vous une organisation non gouvernementale ou une initiative citoyenne qui soit récemment parvenu à influer effectivement sur la décision d’une communauté ou d’un gouvernement ?

Une autre faiblesse des démocraties européennes touche à la représentation des minorités, notamment de celles qui souffrent d’exclusion. Thomas Hammarberg, Commissaire européen aux droits de l’homme, déclarait récemment que la pauvreté était un fléau pour ces millions d’individus…

« … ceux qui sont déplacés ; ceux qui n’ont pas les moyens de prendre un avocat ; ceux qui se heurtent à des barrières linguistiques lorsqu’ils recherchent de l’aide ; ceux qui subissent l’oppression de leur propre groupe culturel ou qui sont étouffés entre deux modes de vie ; ceux qui vivent dans la clandestinité et craignent d’être exposés ; ceux qui sont isolés par leur handicap, et ceux qui ont tout perdu et sont trop fragiles pour repartir de zéro ; ceux qui appartiennent à des minorités et sont la cible des xénophobes et des homophobes. »8

Dans une société où les gouvernements sont élus par la majorité et où les systèmes électoraux donnent tous les pouvoirs au gagnant, il est tout particulièrement difficile pour les minorités de prétendre à une représentation adéquate. La sensibilisation à l’égalité et à l’inclusion sociale des minorités est donc une clé de la gouvernance démocratique.

Au XXIe siècle, un certain nombre de développements économiques et sociaux ont pesé sur le concept et la pratique de la démocratie. L’intégration européenne et l’interdépendance mondiale, les progrès technologiques et l’influence croissante des médias peuvent contribuer positivement à la construction de la démocratie. Mais ils peuvent aussi être néfastes aux structures démocratiques traditionnelles. De la même façon, la rapide évolution des tendances démographiques et la migration interculturelle peuvent perturber les équilibres au sein de la société. Il est donc important de mettre à profit les opportunités offertes par ces phénomènes pour renforcer la démocratie.

QUESTION : Selon vous, les technologies basées sur l’Internet vont-elles offrir aux décideurs de nouveaux modes de consultation directe des populations sur des questions locales ou nationales ?

Pourquoi enseigner la démocratie aux enfants, et comment ?

Si l’on veut que la démocratie prospère, il faut l’inculquer aux enfants pour qu’ils en fassent leur mode de vie. Les compétences qui permettent de construire la démocratie ne sont pas innées. Enseigner la démocratie signifier aider les enfants à devenir des citoyens capables de préserver et de consolider la démocratie. La démocratie doit donc être au coeur de toute éducation dispensée, et ce dès le plus jeune âge.

Comme l’affirme Lianne Singleton, consultante en pédagogie australienne, les éducateurs doivent être convaincus que la démocratie est possible et qu’un mode de vie démocratique est envisageable dans la société et dans les environnements des enfants. Ils doivent aussi aider les enfants à comprendre qu’aucune démocratie, qu’aucun gouvernement, n’est parfait, et qu’aucune idéologie n’incarne la vérité absolue. Dans une démocratie saine, les citoyens s’interrogent sur les intentions de leurs dirigeants et surveillent leurs activités.

Enseigner la démocratie, c’est enseigner le fonctionnement d’une société qui intègre tous les citoyens. Cette société reconnaît tous ses membres, indépendamment… de leur situation ou statut… elle reconnaît la diversité entre ses membres et leur confère le sentiment qu’ils font partie de la communauté...9

Enseigner la démocratie, c’est encourager la curiosité, la discussion, la réflexion critique et la critique constructive. Les enfants doivent apprendre à assumer la responsabilité de leurs actions. Seule l’action peut faire porter de tels fruits à l’enseignement. Les enfants doivent bien évidemment comprendre les concepts fondamentaux de la démocratie ; mais, pour leur mise en pratique, vivre et agir dans un environnement démocratique est certainement le meilleur exercice, voire le seul qui soit véritablement adapté. L’école, les institutions, les clubs et les organisations d’enfants, et même la famille à la condition qu’elle présente les principes et les structures démocratiques, sont les meilleurs modèles pour comprendre la démocratie. Les principes démocratiques doivent imprégner les structures et les programmes scolaires ; ils doivent aussi être la norme dans les relations au sein de l’école. Les éducateurs doivent manifester du respect à l’égard des enfants en créant des instances pour leur permettre de prendre des décisions, en instaurant la médiation par les pairs, en leur confiant la responsabilité de l’organisation de leurs manifestations et en leur donnant les moyens d’examiner les questions, de discuter et de former leur opinion, de débattre et de proposer des stratégies pour gérer les conflits et atteindre des objectifs raisonnables. Aux enfants, ces expériences offrent l’opportunité de prendre des responsabilités et de comprendre que la participation est un effort qui en vaut la peine.

On trouve dans le monde quantité d’exemples inspirants pour mettre en place des structures démocratiques adaptées dans l’environnement naturel des enfants. Le programme du Conseil de l’Europe consacré à l’éducation à la citoyenneté démocratique a permis la production de lignes directrices et la collecte de bonnes pratiques pour la création d’écoles démocratiques et le développement d’une gouvernance démocratique. Dans ce cas, la gouvernance fait référence à l’attitude ouverte des organisations et des établissements d’enseignement, dans lesquels les participants (enseignants, enfants, parents, direction) discutent et négocient pour parvenir à des décisions. L’adjectif démocratique indique que la gouvernance se fonde sur les valeurs des droits de l’homme, la responsabilisation et la participation de tous les acteurs : enfants, adultes, parents et personnel des établissements.

Les documents sur la démocratie et les droits de l’homme

Les droits de l’homme et la démocratie sont des concepts interdépendants. Les droits de l’homme forment la base de tout système démocratique et les États ont pour mission de les défendre et de les garantir. Cela étant, les droits de l’homme ne dépendent pas des États : ils sont inaliénables et appartiennent à chaque individu pour la simple et unique raison qu’il fait partie de la famille humaine. Pour autant, seules des structures démocratiques peuvent protéger les droits de l’homme. Les droits de l’homme, comme la démocratie, sont en permanente évolution.

Ressources utiles

Sites Web utiles

Références

1. Forbrig, Joerg, Revisiting Youth Political Participation, Challenges for research and democratic practise in Europe, Editions du Conseil de l’Europe, 2005, p. 134

2. Kovacheva, Síyka, « Will Youth Rejuvenate the Patterns of Political Participation? » Forbrig, Joerg (ed.), dans Revisiting Youth Political Participation: Challenges for research and democratic practise in Europe: Strasbourg, Les Editions du Conseil de l’Europe, 2005

3. Allocution de Thomas Hammarberg à la 1000e session du Comité des Ministres, Conseil de l’Europe, 2007

4. Singleton, Lianne, Discovering Democracy, Teaching democracy in the primary school: www.abc.net.au/civics/democracy/pdf/td_primary.pdf