Manuel pour la pratique de l’éducation aux droits de l’homme avec les enfants
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9. LA PAIX

On ne pourra parler de culture pour la paix que lorsque les citoyens du monde entier auront une meilleure compréhension des problèmes mondiaux, sauront régler les conflits et lutter contre l’injustice de manière non-violente, observeront les normes internationales en matière de droits de l’homme et d’équité, apprécieront la diversité culturelle, attacheront de la valeur à la planète et auront du respect les uns pour les autres. Or, l’unique moyen d’atteindre ces objectifs est d’instaurer une éducation systématique pour la paix.

Appel pour la paix de la Haye, Campagne internationale de l’éducation pour la paix

Développer une culture de paix est indispensable à la réalisation de la paix, car les guerres et la violence amènent inévitablement le déni des droits de l’homme. Or, une paix et une sécurité durables ne sont possibles qu’à la condition du respect de tous les droits de l’homme.

Au XXIe siècle, l’Europe est plus ou moins épargnée par les guerres, sans pour autant être exempte de conflits qui, précisons-le, affectent directement les enfants. Certaines régions, comme les Balkans et la région du Caucase, sont menacées par des conflits armés. Compte tenu de l’interdépendance mondiale, des conflits dans des pays lointains comme l’Afghanistan ou l’Irak ont des répercussions jusqu’à Londres ou Madrid. D’autres menaces, non militaires celles-là, pèsent de plus en plus fortement sur la paix et la sécurité : les sécheresses, les maladies, la pauvreté, la famine, le racisme et l’intolérance sont autant les causes et les conséquences des conflits.

En termes absolus, le XXe siècle a été la période la plus violente de l’histoire, faisant plus de morts que l’ensemble des siècles précédents. Certains conflits, comme les Première et Deuxième Guerres mondiales, ont impliqué la planète entière et laissé une grande partie de l’Europe en ruines. D’autres conflits se sont déroulés à l’échelle régionale (notamment en Espagne, Chypre, Grèce et Irlande). En Europe, le siècle s’est terminé avec les guerres en ex-Yougoslavie et dans le Caucase.

Dans un monde toujours plus globalisé, suréquipé en technologies de pointe, la nature des conflits a radicalement changé. Pour autant, il y a toujours trop de victimes parmi les civils, y compris des enfants. De plus, la majorité des réfugiés dans le monde sont des enfants, dont beaucoup tentent d’échapper à des conflits armés dans leurs pays. En outre, au moins un demi million de filles et de garçons de moins de 18 ans ont été exploités dans le contexte des conflits, en tant que combattants, poseurs de mines ou de bombes ou encore affectés à la logistique. Les guerres ont un effet dévastateur immense sur ces enfants, causant des blessures tant physiques que psychologiques, détruisant leurs familles et leurs communautés.

La sécurité humaine, c’est quoi ?

La sécurité humaine est un concept relativement nouveau qui reconnaît l’interdépendance entre la violence et les privations de toutes sortes. Elle concerne la protection des individus et des communautés contre les menaces directes de la violence et les menaces indirectes que constituent la pauvreté et d’autres formes d’inégalités économiques, sociales et politiques, de même que les catastrophes naturelles et les maladies. Un pays, sans être sous la menace d’une attaque venue de l’extérieur ou de conflits internes, peut malgré tout ne pas être sûr : par exemple, il peut ne pas être en capacité de préserver la prééminence du droit si des populations importantes venaient à être déplacées pour cause de famine ou décimées par la maladie, ou encore si ses habitants se trouvait privés des produits de première nécessité.

La sécurité humaine fait avancer les droits de l’homme dans des situations où ils sont sérieusement menacés. Elle favorise par ailleurs la mise en place de systèmes qui assurent aux populations les bases nécessaires à leur survie, à leur dignité humaine et aux libertés essentielles : l’absence de besoin, l’absence de peur, la liberté d’agir en son nom propre. Pour ce faire, elle s’appuie sur deux grandes stratégies : la protection et la responsabilisation. La protection met les individus à l’abri des dangers directs, parallèlement à une démarche visant à développer des normes, des processus et des institutions en mesure de maintenir la sécurité. La responsabilisation permet aux individus de développer leur potentiel et de participer pleinement à la prise de décision. La protection et l’autonomisation se renforcent mutuellement ; les deux sont nécessaires dans la plupart des situations.

En 2003, la Commission spéciale des Nations Unies sur la sécurité humaine (Commission on Human Security) a produit le rapport intitulé Human Security Now (La sécurité humaine – maintenant), qui souligne les principaux domaines dans lesquels l’établissement et le maintien de la sécurité humaine est une priorité :

  • Protection des personnes exposées à la violence des conflits et à la prolifération des armes ;
  • Protection et habilitation des personnes en mouvement, y compris les personnes migrantes, en vue d’améliorer leurs conditions de vie, et les personnes qui sont obligées de fuir, pour les protéger des conflits et de graves violations des droits de l’homme ;
  • Protection et habilitation des personnes à l’issue des conflits, y compris la difficile reconstruction des sociétés déchirées par les guerres ;
  • Promotion de la sécurité économique, en garantissant un niveau de vie satisfaisant partout et en permettant aux personnes de fuir la pauvreté ;
  • Promotion de l’accès universel aux soins de santé de base, en s’attaquant notamment aux épidémies et aux maladies mondiales, aux menaces liées à la pauvreté et aux problèmes sanitaires générés par la violence ;
  • Habilitation de tous au moyen de l’éducation universelle de base ;
  • Définition d’une identité humaine globale respectant la liberté des individus d’avoir des identités et des convictions différentes.

QUESTION : Quels sont les facteurs qui menacent la sécurité de votre communauté ? En quoi déstabilisent-ils la société ? En quoi cette insécurité affecte-t-elle les enfants avec qui vous travaillez ?

La paix en tant que droit de l’homme

La paix ne se réduit pas à l’absence de conflits ou de violences ; c’est une façon de vivre ensemble pour que chaque membre de la société puisse accomplir ses droits de l’homme. Non codifiée en tant que droit de l’homme, la paix est néanmoins reconnue comme un élément essentiel à la réalisation des droits humains. Elle relève des droits de l’homme de la troisième génération, que l’on appelle aussi les droits liés à la solidarité. Ceux-ci concernent les sociétés ou les groupes d’individus dans leur intégralité, et pas seulement les individus, comme le droit à un environnement sain, au développement durable, à la communication ou à une part du patrimoine commun de l’humanité. La paix est aussi un produit des droits de l’homme : plus une société promeut, protège et accomplit les droits humains de ses citoyens, plus elle a de chances de juguler la violence et de résoudre les conflits de façon pacifique.

Suivant l’exemple de l’Unesco, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté, en 1999, la Déclaration sur une culture de paix. Celle-ci reconnaît que la responsabilité de la promotion d’une culture de paix incombe à l’ensemble des membres de la communauté, à savoir les parents, les enseignants, les hommes politiques, les journalistes, les organismes religieux, les intellectuels, les institutions de la société civile, les personnes qui exercent une activité scientifique, philosophique, créatrice et artistique, les agents des services de santé, les assistants sociaux, les personnes qui exercent des responsabilités à divers niveaux ainsi que les organisations non gouvernementales .

Le dialogue interculturel et interreligieux

Le dialogue entre les cultures, le mode de conversation démocratique le plus ancien et le plus fondamental, est un antidote au rejet et à la violence. Son objectif est d’apprendre à vivre ensemble dans la paix et de manière constructive dans un monde multiculturel, et de développer un sens de la communauté et un sentiment d’appartenance.

Le dialogue interculturel et le Conseil de l’Europe www.coe.int/t/dg4/intercultural/default_en.asp

La migration croissante, les effets de la mondialisation et les progrès des technologies de l’information et de la communication sont à l’origine d’une plus grande mobilité des citoyens. En conséquence, la diversité culturelle est devenue un des traits majeurs des pays européens. Cette diversité est à la fois un précieux atout pour nos sociétés et la cause de nouveaux défis politiques et sociaux. Tandis que les questions d’identité se posent avec une acuité croissante, les stéréotypes, le racisme, la xénophobie, l’intolérance, la discrimination et la violence menacent la paix et les fondements des communautés nationales et locales1. Les conséquences négatives de ces phénomènes vont de l’exclusion sociale au sein des communautés aux conflits internationaux.

Le dialogue interculturel apparaît comme un outil essentiel pour combattre ces tendances, apprendre à vivre ensemble et développer un sentiment d’appartenance à sa communauté. Le dialogue interculturel est un échange de vues ouvert et respectueux entre individus et groupes appartenant à différentes cultures, qui aide à mieux comprendre les perceptions du monde des uns et des autres2. À cet égard, il convient de reconnaître le rôle des communautés religieuses dans le modelage des identités et d’encourager au dialogue interculturel pour surmonter la discrimination et les stéréotypes religieux, à tous les niveaux de la société.

QUESTION : Dans votre communauté, y a-t-il différents groupes religieux qui influent sur la façon dont les individus vivent ensemble ? Les conflits alimentés par les différences religieuses affectent-ils les enfants avec qui vous travaillez ?

L’éducation à la paix

À l’origine, l’éducation à la paix avait pour objectif d’éliminer le risque d’anéantissement de la planète par la guerre nucléaire ; aujourd’hui, elle ambitionne plus généralement de développer une culture de paix. Son objectif est de favoriser la compréhension et ainsi l’élimination des causes des conflits, comme la pauvreté et toutes les formes de discrimination, ainsi que d’enseigner les compétences nécessaires à la gestion des conflits. La résolution pacifique des conflits n’est pas une qualité humaine naturelle ; il faut l’apprendre et la pratiquer dès l’enfance. Comme le faisait observer le Mahatma Gandhi, si nous voulons faire régner la paix dans le monde, c’est par les enfants qu’il faut commencer.3

L’éducation de l’enfant doit viser à… préparer l’enfant à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre, dans un esprit de compréhension, de paix, de tolérance, d’égalité entre les sexes et d’amitié entre tous les peuples et groupes ethniques, nationaux et religieux, et avec les personnes d’origine autochtone.

Article 29.d de la Convention des droits de l’enfant

Généralement, l’enfant fait l’expérience de situations conflictuelles avec ses pairs, ses parents, les enseignants et les autres adultes. Mais le conflit n’est pas forcément négatif ou nocif en soi ; souvent, il est possible de le modérer et de le résoudre. Par contraste, la violence, qui consiste en l’utilisation agressive de la force ou l’abus de pouvoir, finit toujours par blesser et détruire. C’est pourquoi la société a imaginé quantité de méthodes non agressives pour résoudre les conflits, comme la négociation et diverses approches coopératives qui débouchent sur des accords mutuellement bénéfiques (comme les solutions « gagnant-gagnant ») et des compromis. Apprendre à gérer les conflits et à ne pas recourir à la violence sont des aspects essentiels du processus de socialisation de tout enfant.

QUESTION : Comment les enfants avec qui vous travaillez réagissent-ils habituellement à la violence ? Comment pouvez-vous leur apprendre à mieux gérer et résoudre les conflits ?

L’éducation à la paix apporte les connaissances, les compétences, les attitudes et les valeurs nécessaires à des changements d’attitude grâce auxquels les enfants, les jeunes et les adultes pourront prévenir les conflits et la violence, manifestes ou structurels, résoudre les conflits pacifiquement et instaurer les conditions favorables à la paix – que ce soit entre particuliers, au sein d’un groupe, au plan national ou international. L’éducation à la paix renforce l’estime de soi des enfants, améliore leur capacité à résoudre les problèmes et permet d’éviter les comportements à risque.

Parmi les agences onusiennes, l’Unicef et l’Unesco, notamment, promeuvent l’éducation à la paix. Selon l’Unicef, l’éducation à la paix est dispensée dans le cadre de l’école et d’initiatives éducatives qui :

  • tiennent lieu de « zones pacifiques » dans lesquelles les enfants sont à l’abri des conflits violents ;
  • défendent les droits des enfants tels qu’énoncés dans la CDE ;
  • instaurent un climat qui inspire des comportements pacifiques et emprunts de respect entre les élèves ;
  • mettent en pratique les principes d’égalité et de non-discrimination dans leurs politiques et pratiques administratives ;
  • se servent du savoir-faire en matière de construction de la paix qui existe dans la communauté, y compris des moyens de résoudre les conflits qui sont efficaces, non-violents et ancrés dans la culture locale ;
  • règlent les conflits de manière à respecter les droits et la dignité de toutes les parties impliquées ;
  • intègrent autant que possible dans les cursus traditionnels la compréhension de notions comme la paix, les droits de l’homme, la justice sociale et les enjeux mondiaux ;
  • offrent un forum pour des discussions explicites sur les thèmes du pacifisme et de la justice sociale ;
  • utilisent des méthodes d’enseignement et d’apprentissage qui promeuvent au premier chef la participation, la coopération, la résolution des problèmes et le respect des différences ;
  • permettent aux enfants de mettre le pacifisme en pratique dans le contexte scolaire ainsi que dans le contexte plus large de la communauté ;
  • engendrent une réflexion continue et le développement professionnel de tous les enseignants sur les questions de paix, de justice et de droits.4

Une grande partie de l’action de l’Unesco est axée sur la promotion de l’éducation pour la paix, les droits de l’homme et la démocratie. Depuis le début des années 90, l’Unesco soutient le concept de « culture pour la paix » dans l’objectif de construire une nouvelle vision de la paix basée sur les valeurs universelles que sont le respect de la vie, la liberté, la justice, la solidarité, la tolérance, les droits de l’homme et l’égalité entre les hommes et les femmes, et de promouvoir l’éducation et la recherche dans ce sens.5

L’éducation à la paix est un volet important de tous les domaines éducatifs avec pour vocation de promouvoir les droits de l’homme, la culture de paix et la démocratie. Voir Chapitre II (p. 25).

Les instruments de droits de l’homme applicables

Conseil de l’Europe

Le préambule de la Convention européenne des droits de l’homme reconnaît la relation essentielle entre la paix et les droits de l’homme, affirmant que les libertés fondamentales constituent :

…les assises mêmes de la justice et de la paix dans le monde et dont le maintien repose essentiellement sur un régime politique véritablement démocratique, d’une part, et, d’autre part, sur une conception commune et un commun respect des droits de l’homme dont ils se réclament.

L’article 5 de la Convention garantit la sûreté de tout individu, notamment contre les intrusions de l’État sous la forme d’arrestation ou de détention.

Le Conseil de l’Europe met en oeuvre plusieurs activités pour promouvoir la tolérance, la paix et la compréhension mutuelle entre les peuples, y compris l’éducation aux droits de l’homme, l’éducation à la citoyenneté démocratique et le dialogue interculturel et interreligieux. En 2007, le Conseil a publié un « Livre blanc sur le dialogue interculturel », qui propose une politique cohérente pour la promotion du dialogue interculturel en Europe et entre l’Europe et ses régions voisines.

Nations Unies

Les Nations Unies ont été crées en 1945 pour « préserver les générations futures du fléau de la guerre », « proclamer à nouveau notre foi dans… la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité de droits des hommes et des femmes », « créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et du respect des obligations nées des traités et autres sources du droit international », et « favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande ».6

L’éducation pour la paix a été imaginée pour réaliser ces objectifs. C’est à l’éducation que fait référence l’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui énonce le droit à l’éducation et précise en outre que « l’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». « Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix ».

Les articles 38 et 39 de la Convention des droits de l’enfant concernent les droits de l’enfant en cas de conflit armé. L’article 38 appelle les États à prendre « toutes les mesures possibles dans la pratique pour que les enfants qui sont touchés par un conflit armé bénéficient d’une protection et de soins ». L’article 39 appelle à « la réadaptation physique et psychologique et la réinsertion sociale » de tout enfant victime de « toute forme de sévices ou de conflit armé ». Elle vise tout particulièrement la protection des enfants eu égard à l’enrôlement dans les forces armées. L’article 38 interdit que les enfants de 15 ans participent directement aux hostilités. En 2000, l’Assemblée générale a adopté le Protocole facultatif sur la participation des enfants à des conflits armés qui fixe à 18 ans l’âge minimum du recrutement obligatoire.

Ressources utiles

Sites Web utiles

Références

1. Préparation du « Livre blanc sur le dialogue interculturel » du Conseil de l’Europe, document de consultation p. 3 (en anglais), www.coe.int

2. Ibid., p. 6

3. Voir Inspiring Quotations: www.peace.ca/inspiringquotations.htm

4. Fountain, Susan, Peace Education in UNICEF, 1999, p. 6

5. UNESCO and a Culture of Peace, UNESCO Publishing, 1995

6. Voir Charte des Nations Unies, http://www.un.org/french/aboutun/charte/preamb.htm