Manuel pour la pratique de l’éducation aux droits de l’homme avec les enfants
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10. LA PARTICIPATION

Tant pour les adultes que pour les enfants, oeuvrer au développement d’une culture de participation peut être un exercice de démocratie très efficace.

La participation est à la fois un principe essentiel des droits de l’homme et une pratique active de citoyenneté. L’affirmation du droit de l’enfant à la participation est l’un des principes directeurs et une avancée novatrice de la Convention des droits de l’enfant (voir Chapitre I, p. 21, pour une discussion sur la Convention des droits de l’enfant). La CDE explicite plusieurs aspects du droit de l’enfant à participer :

  • son droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, celle-ci devant être dûment prise en considération (article 12) ;
  • sa liberté d’expression, la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce (article 13) ;
  • sa liberté de pensée, de conscience et de religion (article 14) ;
  • sa liberté d’association (article 15) ;
  • sa liberté d’accès à une information et à des matériels provenant de sources nationales et internationales diverses (article 17) ;
  • son droit de participer librement à la vie culturelle de la communauté (article 31).

Pourquoi la participation des enfants est-elle importante ?

La participation des enfants ne peut être effective à moins que les adultes ne les reconnaissent en tant que partenaires à part entière, avec leurs capacités propres à prendre part aux décisions. Pour cela, il faut remplacer les traditionnelles relations qui reposent sur le pouvoir des adultes et leur contrôle sur les enfants par des partenariats démocratiques. Si les enfants peuvent donner leurs opinions mais qu’ils n’ont aucune influence sur la façon dont celles-ci sont utilisées, leur participation n’est alors que purement symbolique.

Un graphique, « l’échelle de la participation », explique très clairement la nature de la participation1. Roger Hart propose une échelle à huit paliers : les trois premiers, la manipulation, la participation « décorative » et la présence symbolique, relèvent d’une fausse participation et peuvent compromettre l’intégralité du processus. Parmi les formes véritables de participation figurent les niveaux auxquels les enfants sont « désignés mais informés » (des rôles spécifiques leur sont confiés), puis « consultés et informés » (les enfants donnent des conseils sur les projets mis en oeuvre par les adultes et comprennent en quoi leurs opinions vont influer sur le processus). Viennent les degrés de participation plus avancée : d’abord la « participation initiée par les adultes », qui consiste en une prise de décision partagée avec les enfants, puis le « projet initié et dirigé par les enfants », dans lequel les adultes se cantonnent à un rôle de soutien et de conseil. Au niveau supérieur, les enfants participent à la prise de décision, à la gestion et aux responsabilités aux côtés des adultes, et enfants et adultes échangent des informations et tirent les enseignements de leurs expériences respectives.

Une participation effective ne se limite pas à un unique projet. C’est un processus continu qui contribue à la construction d’une culture de participation dans l’environnement de l’enfant : la famille, l’école, les diverses institutions de prise en charge des enfants, le système de santé, la communauté et la société. Tant pour les adultes que pour les enfants, oeuvrer au développement d’une culture de participation peut être un exercice de démocratie très efficace. La compréhension des droits de l’homme et l’encouragement à une active citoyenneté qui en découlent sont bénéfiques pour l’ensemble de la société.

Comment travailler la participation avec les enfants

Tout d’abord, la participation des enfants exige un environnement qui s’y prête. Les enfants s’ouvrent lorsqu’ils ont le sentiment que ce qu’ils disent a de l’importance et qu’ils comprennent le sens de leur engagement.

Parce que les enfants pensent et s’expriment différemment des adultes, les processus de leur participation doivent reposer sur des questions et des expériences concrètes, ainsi que sur des situations réelles et vécues. Ces processus doivent par ailleurs être de complexité diverse et tenir compte de la capacité en évolution de l’enfant. Les exercices peuvent commencer par des consultations et des sondages sur divers sujets auprès des adultes. La planification, la mise en oeuvre, la gestion et l’évaluation sont des vecteurs de participation plus élaborés. Les projets initiés par des enfants, la recherche, l’autopromotion, la représentation ou la cogestion avec des adultes membres d’organisations ou d’institutions sont des expériences très fortes et extrêmement éducatives pour les plus grands.

QUESTION : Qui décide de la forme de participation appropriée aux enfants selon leur degré de maturité ? Comment se prend une telle décision ?

Les processus de participation, dès lors qu’ils sont effectifs, génèrent diverses capacités et compétences. Les enfants acquièrent ainsi des connaissances, s’informent au sujet de leurs droits et découvrent leurs points de vue respectifs grâce à une écoute active. En élaborant et en exprimant clairement leurs opinions, ils améliorent leurs capacités communicationnelles, leur pensée critique et leurs compétences pour l’organisation et la vie. Ils découvrent qu’ils sont véritablement en mesure de faire la différence.

Pour développer une culture des droits de l’homme en Europe, la mise en oeuvre de la participation des enfants est un défi constant, que renforcent les attitudes profondément enracinées des adultes. Dans ces conditions, il convient d’améliorer les capacités des enfants et des adultes dans divers domaines, dont les droits de l’homme, les droits des enfants, l’animation, les pratiques respectueuses de l’éthique et la recherche. Toutes les personnes qui travaillent avec les enfants devraient adhérer pleinement aux principes fondamentaux de la participation des enfants et acquérir des capacités pour faciliter, soutenir et promouvoir celle-ci. Dans cette optique, l’engagement politique et personnel est une condition essentielle. Certes, le développement d’une culture de participation est coûteux en termes de ressources humaines et financières ; mais l’investissement en vaut vraiment la peine !

Exemples de bonnes pratiques

Concernant la participation des enfants, on observe des exemples de bonnes pratiques dans toute l’Europe.

Famille : La participation des enfants démarre à la maison, en tous cas pour ceux des très jeunes enfants qui jouent un rôle dans la prise de décision familiale. Les enfants qui ont participé à la conférence du Conseil de l’Europe intitulée « Une Europe pour et avec les enfants » ont rapporté :

Nous avons effectivement participé à la prise de décision familiale… concernant la façon dont nous voulons utiliser notre temps libre, choisissant ce que nous voulons manger, parfois même choisissant l’école que nous allons fréquenter, mais aussi au sujet du partage des tâches familiales, de la résolution des différends au sein de la famille, de l’organisation des fêtes familiales, etc.2

L’école : L’école peut donner l’exemple d’une participation effective. Élaborer ensemble le règlement de l’école ou confier aux enfants le soin de décorer et de ranger les salles de classe peuvent être des premières étapes en vue de les aider à s’identifier à leur environnement scolaire. Mais les conseils d’élèves et les parlements d’enfants ne sont des bons exercices de participation que si les enfants y ont la possibilité de prendre véritablement des décisions. Les enfants peuvent aussi intervenir dans la gestion des problèmes rencontrés à l’école, comme les brimades, l’exclusion et d’autres formes de violence. Les initiatives des enfants, comme la production du journal de l’école, d’un programme de radio ou de pages Internet, ou encore l’organisation d’un club, d’un festival ou d’une campagne, sont des contributions importantes à la vie démocratie de l’école.3

Les loisirs : Les programmes extrascolaires peuvent être l’occasion d’expériences qui confirment aux enfants que participer peut faire la différence. Les ONG, les environnements informels, les programmes de rue, les festivals, l’Internet et les nouvelles plateformes de médias peuvent offrir diverses possibilités de pratiquer la démocratie. Ces activités viennent généralement compléter les activités scolaires.

Les enfants vulnérables : La participation est un bon moyen de responsabiliser les enfants vulnérables. Les enfants qui vivent dans la pauvreté ou en institution sont souvent privés des formes les plus basiques de participation. Or, tous devraient être accueillis dans des environnements amicaux par des personnels compétents, que ce soit dans les institutions ou à l’hôpital, lorsqu’ils sont confrontés à la police ou à la justice, en tant que victimes ou auteurs d’actes délictueux. L’intérêt supérieur de l’enfant ne peut être véritablement pris en considération que si celui-ci est respecté et entendu et qu’il peut s’exprimer sur les processus qui le concernent.

La participation des enfants aux processus gouvernementaux

Au niveau local : Il existe de nombreuses opportunités très valables pour la participation des enfants à des projets destinés à améliorer le bien-être de la communauté. Le Conseil de l’Europe a ainsi produit une recommandation sur la promotion de la participation des jeunes à la vie municipale, qui offre un point de départ à l’action des municipalités et des groupes d’enfants.4

QUESTION : Comment encourager la participation des enfants au niveau gouvernemental et également les protéger de la manipulation politique des adultes ?

Nombreux sont les législateurs et les décideurs qui consultent régulièrement les enfants. À Londres, par exemple, le Lord Mayor interroge régulièrement les enfants sur les projets destinés à adapter sa ville aux besoins des jeunes, en matière notamment de transport, d’aires de jeu et de sécurité, et à réagir aux violences sur l’Internet.5 En Écosse, un programme de cinq ans développé avec les partenaires locaux a été mis en oeuvre pour explorer comment, avec l’active participation locale, lutter efficacement contre l’exclusion des enfants et des jeunes. Les programmes qui en découlent, les méthodologies et les résultats ont été résumés dans un guide.6

Au niveau national : Quelques pays européens se sont dotés d’une politique pour promouvoir la participation des enfants. Ainsi, en Allemagne, en Norvège et en Grande-Bretagne, les gouvernements encouragent l’actif engagement des enfants et de leurs familles, ou des personnes qui en ont la charge, dans le développement et la gestion de l’ensemble des fonds pour l’enfance. Ils incitent les municipalités et les organisations à faire de même. Parce que de telles innovations exigent des changements culturels, le passage de l’engagement à la pratique s’avère souvent délicat.7

Au niveau international : Les enfants ont davantage de possibilités de participation aux plans local et national, où leurs expériences quotidiennes peuvent être réellement prises en compte. Mais, si les conditions requises sont réunies, leur participation aux processus de prise de décision internationaux est également possible.

La participation des enfants et des jeunes était aux coeur de l’étude des Nations Unies sur la violence à l’encontre des enfants. Les enfants ont pris part à des consultations régionales et leurs recommandations ont été incluses dans les documents produits à l’issue de ces processus. Ces processus peu communs, même s’ils ont quelque peu dérouté les organisateurs, ont produit parmi les résultats les plus intéressants et éclairants.8

Principes pour la promotion de la participation des enfants

L’Unicef, ONG qui se bat dans le monde entier pour les droits et le bien-être des enfants, a défini un certain nombre de principes pour garantir leur participation significative. Ces lignes directrices valent pour toutes formes de participation :

  • Les enfants doivent comprendre de quoi relève le projet ou le processus, à quoi il sert, et leur rôle dans son déroulement.
  • Les rapports de pouvoir et les structures décisionnelles doivent être transparents.
  • Les enfants devraient être associés à l’initiative le plus précocement possible.
  • Tous les enfants doivent être traités avec le même respect indépendamment de leur âge, de leur situation, de leur appartenance ethnique, de leurs capacités ou autres facteurs.
  • Les règles de base doivent être établies avec tous les enfants dès le début.
  • La participation doit être volontaire et les enfants doivent être autorisés à se retirer à n’importe quel stade.
  • Les enfants ont droit à ce que leurs opinions et leurs expériences soient respectées.9

Les instruments de droits de l’homme applicables

Conseil de l’Europe

La participation est un domaine de travail important du Conseil de l’Europe, notamment en ce qui concerne les jeunes. Le Conseil est ainsi à l’origine d’une initiative sans précédent : l’introduction d’un système de cogestion dans son secteur de la jeunesse, dans le cadre duquel des représentants des organisations européennes de jeunesse et des gouvernements décident ensemble des programmes et du budget jeunesse de l’Organisation. Conjointement avec le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe, une Charte européenne sur la participation des jeunes à la vie locale et régionale a été produite en 1992 et révisée en 2003. Cet outil unique promeut la participation des jeunes et, de surcroît, propose des idées et des solutions que peuvent exploiter les jeunes et les autorités locales. Un manuel pratique contenant d’autres suggestions, intitulé, « Have your say ! » a été produit en 2007.

Nations Unies

Les droits associés à la participation sont étroitement corrélés à ceux de la citoyenneté, tant du point de vue de l’éventail des libertés conférées que des responsabilités inhérentes (Voir la discussion sur le Thème 1, La citoyenneté, p. 213). La Déclaration universelle des droits de l’homme reconnaît à l’article 29 l’importance de la participation des citoyens à la communauté :

L’individu a des devoirs envers la communauté dans laquelle seul le libre et plein développement de sa personnalité est possible.

Néanmoins, ce n’est qu’avec l’adoption de la Convention des droits de l’enfant, en 1989, que les droits et les bénéfices de la participation ont été reconnus comme s’appliquant à l’enfants. Sa participation est ainsi garantie dans toutes les sphères de vie de la communauté :

  • Article 9 : droit de participer aux délibérations concernant sa garde ou sa détention ;
  • Article 12 : droit d’exprimer librement son opinion « sur toute question l’intéressant » ;
  • Article 13 : droit d’exprimer des opinions, de rechercher, de recevoir et de répandre des informations ;
  • Article 14 : droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ;
  • Article 15 : droit à la liberté d’association ;
  • Article 23 : droit de l’enfant handicapé de participer activement à la vie de la collectivité ;
  • Article 30 : droit d’un enfant issu d’une minorité ou d’origine autochtone de participer à la vie de son groupe de même qu’à la société élargie ;
  • Article 31 : droit de participer pleinement à la vie culturelle et artistique.

Au sens de la Convention des droits de l’enfant, un enfant s’entend de tout être humain âgé de moins de 18 ans, ce qui implique que tous les enfants n’ont pas le même degré de compétence ou de maturité leur permettant de participer de la même façon. En guise de réponse, la Convention applique le principe des capacités en développement de l’enfant, recommandant que les parents et l’État reconnaissent et répondent aux besoins de l’enfant d’une manière qui corresponde au développement de ses capacités et de son degré de maturité. Pour de nombreux adultes et institutions, le défi est encore d’adapter des attitudes et pratiques profondément enracinées au droit à la participation que possède tout enfant et à tout âge.

Ressources utiles

Sites Web utiles

Références

1. Conçu par Arnstein, Sherry R.: A Ladder of Citizens Participation (L’échelle de la participation), JAIP, Vol 35, n° 4, 1969, p. 216-224.
http://lithgow-schmidt.dk/sherry-arnstein/ladder-of-citizen-participation.html. Le modèle a ensuite été développé par Hart, Roger: Children’s Participation from Tokenism to Citoyenneté (La participation des enfants: de la participation symbolique à la citoyenneté), Centre de recherche Innocenti, Unicef, 1992, Florence

2. Construire une Europe pour et avec les enfants, Séminaire de préparation, Conseil de l’Europe, Monaco 2006, p. 16 (en anglais)

3. Dürr, Karlheinz, The School: A democratic learning Programme Education for Democratic Citizenship DGIV/EDU/CIT (2003) 23 final, Conseil de l’Europe, 2004

4. Recommandation n° R (81) 18 du Comité des Ministres aux États membres relative à la participation au niveau communal, Conseil de l’Europe, 1981

5. Young London Kids: http://www.london.gov.uk/young-london/kids/index.jsp

6. DIY Guide to improving your community – Getting children and young people involved, Save the Children, Ecosse, 2005

7. Learning to Listen, Core Principles for the Involvement of Children and Young People, Department of Education and Skills, CYPU, UK, mars 2001

8. Voir l’étude du Secrétaire général des Nations Unies sur la violence à l’égard des enfants

9. Promouvoir la participation des enfants au processus décisionnel démocratique: Centre de recherche Innocenti, Unicef, 2001